Journaliste et éditeur

Tyler Brûlé, le boss du magazine Monocle: « le titre correspond à 100 % à ce que je voulais faire »

© Renaud Callebaut

On lui doit la création de deux magazines influents. En 1996, il lance Wallpaper, avant de le revendre pour créer Monocle en 2007. L’ancien reporter de guerre de 56 ans, infatigable globe-trotteur, a ouvert un Monocle Café à Paris.

La passion de lire

Mes parents n’ont jamais refusé de m’acheter des livres ou des magazines. J’ai grandi au Canada. A la maison, nous lisions Time et Life, et bien sûr Châtelaine, un féminin très populaire. Je n’avais pas le droit de dépenser mon argent de poche pour quoi que ce soit, sauf pour des livres ou des magazines. Plus tard, à Toronto, quand je travaillais comme serveur, tous mes pourboires passaient dans la presse.

Téléspectateur fasciné

Les présentateurs de journaux télévisés américains m’ont longtemps fasciné. J’aimais m’asseoir le soir devant l’écran et regarder les infos. Même si je me suis parfois imaginé devenir pilote ou architecte, j’ai très tôt eu envie de faire carrière dans le journalisme pour la télévision. Quand j’y pense, ces journaux avaient des moyens bien différents de ceux d’aujourd’hui.

Grand reporter

Les années 1980, c’était l’âge d’or des magazines. Je me souviens de Blitz et The Face. Londres était en pleine effervescence. Le Guardian publiait tous les mardis des offres d’emploi. J’ai postulé à la BBC pour un job aux côtés de la légendaire Janet Street-Porter qui animait un programme pour la jeunesse. Les ressources humaines m’ont rappelé pour me dire qu’ils avaient changé leurs plans. J’ai rejoint leur pool de reporters.

Beaux intérieurs

J’ai failli perdre la vie en Afghanistan. J’y suis allé comme journaliste indépendant. Le deuxième jour, nous sommes tombés dans une embuscade, mon interprète et moi. La voiture montrait 39 impacts de balles. Nous avons été tous les deux gravement blessés. J’ai perdu pour toujours l’usage de ma main gauche. Après un mois passé à l’hôpital à Londres, je savais que je ne voulais plus de cette vie-là. C’est là que m’est venue l’idée de créer mon propre magazine dans lequel on trouverait de beaux intérieurs, des recettes de cuisine. En un mot, tout ce qui nous entoure. En brainstormant sur le titre avec un ami, nous étions justement entourés de papier peint. Wallpaper était tout indiqué.

Galop d’essai

Adolescent, j’étais fasciné par la presse allemande. Der Spiegel, Stern. C’est ce qu’on lisait dans la famille de ma mère, en Estonie. J’aimais le choix des photos, leur typographie. Je dis souvent que c’était un peu mon galop d’essai avant Monocle, le titre qui correspond à 100% à ce que je voulais faire.

‘Quand je travaillais comme serveur, tous mes pourboires passaient dans la presse.’

Café Monocle

Rien ne m’agace plus que les horribles chaînes de magasins. C’est pour éviter que l’une d’elles ne s’implante à la place du fleuriste installé au coin de la rue de notre premier siège londonien que nous avons ouvert notre première boutique. Nous en avons désormais à Tokyo, Zurich, Toronto et Hong Kong. Et des cafés à Londres, Zurich et maintenant à Paris. Mais il n’y a jamais eu de grande stratégie derrière cela.

L’amour du papier

La presse papier a encore toute sa place. C’est peut-être un vœu pieux, mais je suis convaincu qu’il y a encore de grandes opportunités. L’édition imprimée de Monocle rapporte toujours plus que toutes nos autres activités. Il y aura toujours un marché pour les magazines et les journaux populaires, tout comme pour les titres lifestyle plus coûteux. Je pense en revanche que le segment intermédiaire aura du mal à s’imposer. Pour nous diversifier, nous publions également des livres. Nous avons une station de radio numérique qui marche bien, nous faisons des vidéos et des collaborations avec des marques de vêtements et de design.

Vive les vieux

On parle beaucoup d’inclusion et de diversité mais cela touche rarement les personnes âgées. Sur mon dernier vol Hong Kong-Paris, j’ai observé quelques passagers français d’un certain âge qui se débattaient souvent avec leurs écrans tactiles. Heureusement que pour le repas, il y avait encore un menu papier. C’est désolant qu’on ne les inclue pas dans la conversation. Elles ne sont pas sexy, pas excitantes, et donc on les invisibilise. Je dis toujours à mon équipe: vous ne pouvez pas parler de diversité si vous ignorez cet énorme groupe de personnes âgées. Alors oui, il y a peut-être une place pour un journal qui s’adresse à ce créneau particulier.

The Monocle Café & Shop Paris, 16, rue Bachaumont. monocle.com

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