À Lisbonne, le fado mis en sourdine par la crise sanitaire

Maria Ferreira

Spectacles annulés, disque reporté… « La pandémie a tout chamboulé! », se lamente Claudia Picado, une chanteuse plongée dans le désarroi par la fermeture de la plupart des maisons de fado de Lisbonne, ville sous couvre-feu désertée par les touristes.

« Cette année s’annonçait très bien pour moi: je chantais tous les soirs dans les lieux cultes du fado, j’avais pas mal de concerts programmés à l’étranger, je devais sortir un disque… et puis tout s’est brusquement arrêté », soupire cette Portugaise de 36 ans, fixant le portrait de son petit garçon de huit ans posé sur le buffet de son salon.

Chanteurs ou musiciens, les « fadistes » comme Claudia Picado subissent de plein fouet l’impact économique et social de la deuxième vague de l’épidémie de Covid-19.

Souvent précaires, ils sont désemparés devant les difficultés des maisons de fado, qui avaient déjà perdu l’essentiel de leur clientèle avec la chute du tourisme et qui désormais doivent fermer dès 22H30 en raison des récentes restrictions sanitaires.

Dans le quartier populaire de l’Alfama, présenté comme le berceau du fado, l’établissement « Porta d’Alfama » essaie d’ouvrir au moins une fois par semaine, car sa propriétaire, Maria Ferreira, a décidé de résister, même si elle perd de l’argent.

« Quand j’ai des réservations, j’appelle les fadistes, sinon je n’ouvre même pas! », confie cette quinquagénaire, que tout le monde appelle « Tininha ».

Elevée dans ce quartier pittoresque connu pour ses ruelles qui serpentent à flanc de colline face à l’estuaire du Tage, elle tente avec difficulté d’animer une association de commerçants locaux pour alerter les pouvoirs publics sur leur situation difficile.

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« Les gens ont peur »

Avant la crise sanitaire, Claudia Picado se produisait régulièrement chez « A Severa », une maison de fado qui a dû fermer ses portes début novembre.

« On s’est rendu compte qu’on perdait moins d’argent en fermant », explique Alexandrina Dominguez, responsable de ce restaurant situé au coeur du Bairro Alto, un autre quartier populaire de Lisbonne prisé des touristes et des fêtards.

Créé il y a 65 ans par ses grands-parents, l’établisement, qui employait une vingtaine de salariés, avait déjà fermé ses portes pendant plus de quatre mois lors de la première vague de la pandémie avant de rouvrir pendant l’été, mais les affaires ont à peine repris.

« En août, nous avons servi un total de 80 repas. C’est l’équivalent de ce que nous servions en une seule soirée », détaille la quinquagénaire devant une salle aux larges panneaux d’azulejos blancs et bleus, ces carreaux de faïence emblématiques du Portugal qui reproduisent les vieux quartiers de la capitale.

Destination à la mode au moment où le tourisme s’est effondré en raison de la pandémie, la région de Lisbonne a accueilli deux millions d’étrangers entre janvier et septembre, soit moins d’un tiers qu’à la même période de l’année dernière.

Et ceux qui s’y rendent évitent les locaux comme celui de Mme Dominguez. « Aujourd’hui, les gens ont peur de venir dans une maison de fado. Ils préfèrent dîner en terrasse », précise-t-elle en cachant son émotion derrière son masque.

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« Aucune protection »

Quelques rues plus loin, la maison de fado « O Faia » a fait le choix de rester ouverte, mais sa situation n’est guère meilleure.

« Cet endroit était toujours noir de monde! », se souvient avec nostalgie Antonio Rocha, 82 ans, l’un des chanteurs qui s’y produit.

Vêtu d’un élégant blazer blanc qui lui donne un air de crooner, il chante ce soir devant une salle quasi vide, alors qu’elle pourrait accueillir près de 90 personnes. Seul un couple profite du spectacle donné par trois chanteurs de fado qui se relaient et leurs guitaristes.

« C’est un drame! », s’exclame le gérant, Pedro Ramos. « Nos pertes sont supérieures à 80% … Nous allons être contraints de fermer aussi », affirme ce quadragénaire à la barbe poivre et sel.

Ses 25 salariés auront droit aux subventions prévues en cas de chômage partiel, mais ce n’est pas le cas des chanteurs et des musiciens qui, pour la plupart, sont précaires.

« C’est leur situation qui nous préoccupe vraiment, car ils n’ont aucune protection », s’inquiète Paulo Valentim, président de l’Association qui représente 19 maisons de fado à Lisbonne.

A de très rares exceptions, les « fadistes » ne signent pas de contrat avec les maisons de fado où ils se produisent, afin de pouvoir mener leur carrière librement.

Mais leur indépendance est synonyme de précarité, car au Portugal, les artistes ne disposent pas d’un statut d’intermittent du spectacle tel qu’il existe, par exemple, en France.

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