Mathieu Nguyen

La fin des voyages en open bar?

Sommes-nous la première et dernière génération à avoir pu profiter d’une industrie du voyage en mode open-bar? Bonne question.

Il y a encore quelques mois, on tablait sur une progression constante du nombre total de passagers aériens en 2020, qui devait donc dépasser les 4,5 milliards enregistrés l’an dernier. Ces prévisions suivaient la croissance exponentielle en cours depuis une bonne trentaine d’années, selon la règle de la multiplication par deux tous les quinze ans, comme on a pu l’observer entre 1987 et 2002, puis de 2002 à 2017. Au vu des événements récents, force est de constater que ce modèle a du plomb dans l’aile. Malgré nos envies d’ailleurs, le moment semble mal choisi pour s’enfermer des heures dans une boîte de métal, à respirer le même air en conserve que des dizaines de parfaits inconnus. Sommes-nous la première et dernière génération à avoir pu profiter d’une industrie du voyage en mode open-bar ? Bonne question.

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En tous cas, personne n’a pu en profiter autant que nous. Au tournant des années 90, nous avons connu la démocratisation des vols long-courriers, jusqu’alors réservés à l’élite et aux businessmans, puis quelques années plus tard, l’avènement du low cost – et en deux clics, les ados pouvaient s’envoler pour Barcelone, et ça leur coûtait la moitié du prix d’un Go-Pass. Une révolution.

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Où en est-on aujourd’hui ? Rien de plus banal que de passer sa lune de miel à Bali. L’idée d’emmener les gosses sous le soleil de Punta Cana pour la Toussaint suscite à peine un lever de sourcil. Et quand des amis reviennent du bout du monde, on leur accorde une oreille distraite avant de décrocher, après trois minutes, de leur récit. On n’ira pas jusqu’à dire que nous sommes tous devenus des globe-trotteurs blasés, mais reconnaissons qu’après une trentaine d’années à pouvoir parcourir le monde en toute insouciance, la magie qui exhalait de certaines destinations s’est quelque peu estompée. Il faut dire que le mythe de l’avion pour-tous-tout-le-temps avait déjà commencé à se fissurer, sous l’effet d’éléments perturbateurs comme le boycott des compagnies à bas prix, pour protester contre les politiques antisociales de leurs dirigeants (coucou Ryanair), ou le flygskam, la honte de prendre l’avion, popularisée dans la foulée des marches pour le climat. Leur impact semblait toutefois marginal dans les chiffres, en hausse constante donc, jusqu’à la pandémie actuelle.

Car, sans surprise, la crise du Covid-19 a violemment changé la donne, entraînant une série de mesures qui eurent pour conséquence de voir nos horizons rétrécir. Confinés dans notre petit pré carré, il ne nous reste qu’à faire preuve de philosophie, et peut-être commencer par admettre que nombre de nos lointaines découvertes se sont faites au détriment de contrées plus proches, que l’on ignore obstinément alors qu’elles devraient au moins nous être familières. Après tout, si les voyages forment la jeunesse, et nous en sommes convaincus, nul n’a jamais précisé que cette  » formation «  impliquait d’aller crapahuter aux antipodes.

D’ailleurs, tout baroudeurs blasés que nous soyons, nous conservons des souvenirs attendris des milliers de bornes avalées chaque été, à bord d’un vieux break bourré jusqu’à la gueule, avec les gosses entassés à l’arrière sans iPad ni airco – et ces traversées homériques trônent souvent en bonne place dans nos mythologies familiales. Ces précieux instants, rien ne nous empêche de les offrir à nos enfants, et encore, dans des conditions de confort nettement supérieures à celles endurées auparavant. Il suffit d’accepter que nos prochaines vacances ressemblent un peu plus à Boule et Bill, et un peu moins à Ushuaïa ; tant mieux pour le tourisme local, tant pis pour Instagram.

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