Artiste de l’impalpable
La couleur, la lumière, le son. Depuis les années 80, Ann Veronica Janssens s’y adonne corps et âme pour nous faire partager de nouvelles expériences spatio-temporelles. Une superbe exposition solo au Wiels, à Bruxelles, rend hommage à son art qui aiguise les sens.
Dans sa maison lumineuse et silencieuse (la plus ancienne écurie d’Uccle, paraît-il, revue et corrigée selon les critères esthétiques du IIIe millénaire), entourée d’arbres centenaires, il n’y a pas d’atelier. Jolie brune filiforme, Ann Veronica propose de nous attabler dans la cuisine. » Je travaille toujours in situ, en fonction de l’emplacement. Mes £uvres, souvent immersives, sont des expériences spatio-temporelles, basées sur des techniques ou faits scientifiques. De nombreuses pièces sont fragiles, difficiles à contrôler et à conserver. Cela dit, on peut les refaire. «
L’exposition au Wiels (*) est conçue comme un grand laboratoire, lieu de champs ouverts et de diverses investigations. Son titre, Serendipity, lui va donc comme un gant. Inventé en 1754 par Horace Walpole, le terme signifie l’art de trouver quelque chose par hasard et par accident. Parmi les installations proposées, citons la reprise du Pavillon Blue Red Yellow, présenté à Berlin en 2001. Ses parois translucides sont recouvertes de films transparents bleu, rouge et jaune. A l’intérieur, une brume dense brouille les couleurs et en crée d’autres, de l’orange, du vert, qui restent en suspension. Le visiteur, réceptif à des sensations inédites, a l’impression de déambuler dans la couleur tactile. Un autre exemple immersif ? Une chambre anéchoïque – elle est tapissée de dièdres, de petites pyramides en mousses polymères qui absorbent les ondes sonores – où le spectateur pourra se concentrer sur les bruits internes de son corps, notamment ses battements de c£ur. Le must ? Un extrait de la pièce The Song, créée par la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker. L’artiste a imaginé, avec la complicité du plasticien Michel François, son ex-compagnon et père de ses deux enfants, un vélum qui se tend, se replie sur lui-même et, pour finir, chute dans un éblouissement extraordinaireà comme un coucher de soleil sur l’eau.
Dans tout ce qu’elle entreprend et expérimente, Ann Veronica Janssens cherche à matérialiser les fluides et dématérialiser la matière. Que de chemin parcouru depuis le moment où cette fille et petite-fille d’architecte voulait se mesurer à la matière dure, brute et solide, en entamant des études d’architecture. » J’ai tenu trois mois, échaudée par manque de dimension constructiveà » Elle expérimente l’atelier de sculpture textile, à La Cambre, fraîchement inauguré par la grande Tapta (1926-1997). Elle y trouve des moyens pour exercer sa liberté, réalise des films, des installations et à ne touche jamais au textile.
La célébrité commence vraiment lorsqu’elle s’embarque avec Michel François et plusieurs artistes dans l’aventure de l’Espace 251 Nord à Liège, fondé en 1984 pour promouvoir la création artistique contemporaine. » Depuis mes débuts, j’utilise la lumière et l’espace comme des matériaux. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui m’échappe, des seuils où l’image se résorbe, des espaces à franchir entre deux états ou perception, entre lumière et ombre, entre défini et indéfini, silence et explosion. Il y a peu d’objets. Mon travail est dans des gestes engagés et des pertes de contrôle, dans cette absence de matérialité autoritaire et dans la tentative d’échapper à la tyrannie des objets. «
(*) Du 5 septembre au 6 décembre prochains, au Centre d’Art contemporain Wiels, 354, avenue Van Volxem, à 1190 Bruxelles. Tél. : 02 340 00 50. www.wiels.org
Barbara Witkowska
» Ce qui m’intéresse, c’est ce qui m’échappeà Mon travail est dans des gestes engagés et des pertes de contrôle, dans cette absence de matérialité autoritaire et dans la tentative d’échapper à la tyrannie des objets. «
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