Charivari
L e sujet est sensible, délicat. Car dans ces matières-là, désormais, plus question de taquiner, titiller, plaisanter. On ne badine pas avec le nouvel esthétiquement correct, on s’incline. Profil bas ! Tout bénéfice pour les as du commerce, les petits malins du marketing. Pour preuve, le buzz autour de la pub D. Quatre images pour faire vendre des savons et des crèmes bien ordinaires. Mais quelles images ! Une nonagénaire aux rides magnifiques qui affiche une sacrée pêche, une quinqua tonique à la splendide chevelure poivre et sel, une trentenaire épanouie dans ses belles rondeurs, une petite jeune au sourire éclatant au milieu de ses nombreuses taches de rousseur. Bref, vous et moi, la voisine de palier, la collègue de travail. Avec nos imperfections, le vieillissement qui pointe, les kilos en trop. Banal ! Mais une banalité rarement hissée au top pour promouvoir des produits de beauté si modestes soient-ils. Et chacune de s’extasier : fini la bimbo à la plastique irréprochable, place désormais à la femme, la vraie. Noble geste censé faire faire un bond à la condition féminine. Mais qui soulève tout de même, passé le moment d’euphorie nombriliste, de bien nombreuses interrogations. Car elle n’est pas tombée du ciel, cette lumineuse idée de pub. Mais bien plus simplement des conclusions d’une enquête qui révèle que plus de 80 % des femmes se sentent mal dans leur peau. Trop ceci, pas assez cela… la litanie est longue, l’autoflagellation bien cruelle. Autant de victimes autoproclamées ? Autant de cibles toutes désignées pour acheter les fameux savons et crèmes » mass market « , ceux-là mêmes qui vont plaire au plus grand nombre, de 15 à pas moins de 95 ans ! Ne les magnifient-ils pas ? Résultat : des ventes qui grimpent, des profits qui gonflent. Et une multinationale qui se frotte les mains.
Jusque-là, rien de bien extraordinaire. Une affaire courante. Mais qui se corse quand elle devient phénomène de société, alimentant une morale aux contours troublants. Déjà des esprits » avisés » s’engouffrent dans la brèche. On pointe du doigt ceux qui osent encore afficher des tops dans les pages glacées des magazines, autant de stéréotypes dans lesquels la femme, nous dit-on, ne se reconnaît pas. Plus de rêve. Après la real tv, la real cover. Un combat mené » au nom du bien « . Au c£ur d’une réalité féminine pourtant bien plus complexe. Car s’il s’agit de veiller à respecter la femme, dans toute sa pluralité, sa richesse, faut-il pour autant opposer des contraires, alimenter une bien pauvre polémique ? Car c’est nous faire grande offense que de nous croire incapables de détecter le vrai dans les paillettes, l’authentique dans le strass. La vie d’une femme ne peut-elle aussi parfois s’égarer dans la légèreté, faire des incursions ludiques dans le superficiel, l’irréel, le futile, le presque parfait ? Faut-il se sentir offensée parce qu’une jolie fille affiche avec fierté sur nos murs ses superbes gambettes ? Ne sait-on pas toutes que les photos de mode, sans exception, sont retouchées, embellies, travaillées ? Non. Aux diktats, si bien intentionnés soient-ils, on préférera toujours la nuance, l’ouverture, le questionnement, la tolérance. Sans oublier quelques zestes d’humour, la distance, le recul, l’autodérision. Plus difficile, plus subtil, certes, mais plus gratifiant aussi.
Christine Laurent
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