Chic, alors!

Christine Laurent
Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

(1)  » Le Savoir-vivre en 365 jours « , par Anne t’Serstevens, éd. Soliflor.

(2)  » Manières de table « , éd. Bayard.

Il paraît qu’on peut l’apprendre en 365 jours (1). Même si la tâche, double, s’annonce plutôt rude. Car il s’agit non seulement de savoir, mais aussi de vivre. Au menu : la bienséance, la courtoisie, l’affabilité, l’éducation, voire la délicatesse. Oui, la délicatesse. Hier mezzo voce, les défenseurs de la politesse, aujourd’hui, haussent le ton, c’est l’onde de choc. Le xxie siècle aura des manières ou ne sera pas. Fini le temps où l’on parlait la bouche pleine, où l’on mangeait avec son couteau, où l’on se mouchait avec les doigts. Place désormais à la  » French étiquette  » ! Du bas en haut de l’échelle, on revoit ses  » classiques « . Déjà, outre-Quiévrain, les cours se multiplient. Même les cadres sup sont priés de s’y inscrire (à 150 euros la séance), le savoir-vivre faisant désormais partie des outils indispensables à la promotion sociale.

Le quotidien  » Le Monde  » (édition du 10 novembre dernier), qui s’est déjà penché sur le phénomène, nous annonce, pour la fin de l’année sur M6, l’adaptation d’un concept britannique qui verra dix jeunes femmes, venues de tous les horizons, suivre en direct des cours de maintien et faire des plans de table avec un préfet ou un archevêque… Pas de doute possible, les bonnes manières, bien assoupies ces dernières années, se rebiffent. Un peu, beaucoup. Elles tracent subrepticement un cercle autour d’elles. Qui les ignore, se condamne à être ignoré. Un sacré come-back. Incongru, inattendu ? Pas sûr. Dans un ouvrage remarquable, le Pr Jean-Claude Lebensztejn, grand spécialiste de la question (2), rappelle opportunément que l’objet d’un code est d’exclure ou d’empêcher tout ce qui est désagréable et qu’aujourd’hui encore, la politesse est définie par le  » respect d’autrui dans les relations sociales « . Un motif qui puise ses racines dans la Renaissance et plus particulièrement chez Erasme qui, en 1530 déjà, coulait, non sans humour, un premier traité,  » La Civilité puérile « , ou comment diriger sa vie. Avec en filigrane la conviction intime que l’homme n’est pas une bête, qu’un prince n’est pas un rustre, qu’il faut avoir des égards pour autrui et prendre soin de sa santé, la bienséance consistant à se retrancher de l’animalité. Mais c’est la bourgeoisie qui s’emparera définitivement de ses bons conseils pour définir des codes qui seuls donnaient accès au cercle social désiré.

Le xxe siècle, en tombant la veste, ne devait pas l’entendre ainsi. Objectif : décoincer, interdit d’interdire. Des mots d’ordre qui s’effilochent lentement, mais sûrement. Car le retour des bonnes manières, c’est aller, aussi, vers les autres et prendre confiance en soi. Tout un art, en somme. Qui, au IIIe millénaire, oscillera, peut-être, entre protocole et convivialité, histoire d’occulter ce qui nous divise. Un emplâtre sur la fracture sociale ?

Christine Laurent

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