entre art et architecture

Barbara Witkowska Journaliste

Artiste complexe, multi-facettes et très engagé, Marin Kasimir explore tous les moyens d’expression, peinture, sculpture et photographie, pour modifier notre regard sur la ville. Il nous a ouvert les portes de son loft, à Bruxelles. Un bel espace de lumière archi-artistique.

Les flâneurs qui aiment se balader dans le centre de notre capitale découvrent depuis peu, au parc Fontainas, un immense et superbe  » tableau  » composé de quatre photographies panoramiques en couleurs qui rappellent quatre manifestations-clés de la vie bruxelloise : la Zinneke Parade de l’été 2003, la Marche Blanche du 20 octobre 1996, la Gay Pride du printemps 2004 et la manifestation contre la guerre en Irak d’octobre 2002. Tour à tour acteurs ou spectateurs, les habitants s’approprient la ville, s’assemblent et se mélangent autour d’une cause, pour partager la joie, le deuil, le parti pris ou la colère. Les images déroulées en longueur reflètent la recherche permanente de l’artiste, à la fois esthétique et éthique : fixer sur la pellicule les métamorphoses de la cité, préserver sa mémoire. Et nous invitent à changer notre regard, à élargir nos perspectives et nos horizons.

Une passion pour les villes

Marin Kasimir aime les villes. Passionnément. A Orléans, dans le Parc Floral de la Source, il a ainsi planté une sculpture en trois parties : banc circulaire, table ronde et parasol ouvert. Le tout animé d’images fraîches et rosées de cerisiers en fleurs. Conçue comme un lieu de rencontre, de repos ou de conversation, Pause, Crise, Cerise (c’est son titre) plaide surtout en faveur d’une £uvre publique accessible à tous, polysémique, esthétique et utile.

Après ces interventions ponctuelles, destinées à embellir intelligemment l’espace urbain, Marin Kasimir s’attaque à un gros projet qui l’occupera pendant de longs mois : un livre de photos panoramiques sur Shanghai dont la sortie coïncidera avec l’Exposition Universelle de 2010, sous le thème Better City, Better Life.  » Ce livre est une auto-commande, explique-t-il. Je n’attends pas de propositions, je prends l’initiative. Le but est de faire un reportage sur le changement urbanistique de la ville « . Et de poursuivre ce projet ambitieux, de longue haleine, sur toutes les expositions universelles ou internationales, ces  » éternels caravansérails des peuples et des cultures du monde « , depuis Londres en 1851 à Shanghai en 2010.

Deux ouvrages sont déjà sortis. Le premier illustre l’exposition universelle à Aichi au Japon en 2005. L’autre réunit des images panoramiques sur les expositions en Espagne. Les images prises à Barcelone, à Séville et à Saragosse montrent ce qui a disparu, ce qui existe encore, ce qui a changé ou est en train de changer. Capter et réécrire le cheminement de la société, de ses cadres de vie et de ses territoires, porter un regard à la fois attentif, positif et tendre sur l’espace public, telle est la préoccupation de l’artiste.

Un talent protéiforme

Marin Kasimir est né à Munich en 1957, d’un père architecte autrichien et d’une mère croate, fille de diplomate, parlant sept langues. Très vite, la famille déménage à Karlsruhe.  » Enfant, je voulais devenir artiste, confie-t-il. J’ai réalisé mon premier paysage panoramique à l’âge de 5 ans. Pendant quinze jours, j’ai dessiné, avec une craie grasse, sur un mur de 16 m x 1 m 50 dans un jardin d’enfants à Karlsruhe, des montagnes, des collines, le ciel, le soleil et des personnages « . A 14 ans, il expose pour la première fois, dans les bâtiments universitaires de sa ville : des nus, des tableaux influencés par le surréalisme, mais très personnels. L’expo est couronnée d’un  » vrai  » article dans le journal local, en page Culture. Suit un parcours éclectique, dans lequel l’adolescent enrichit son discours par des expressions différentes : il se familiarise avec les techniques des peintres de la Renaissance, met au point un nouveau procédé de linogravureà

Après une formation à l’Académie de Munich, Marin Kasimir séjourne longtemps à New York, puis à Turin, et en 1981, se pose définitivement à Bruxelles. Quatre ans plus tard, il décroche le prestigieux Prix de la Jeune Peinture Belge. Laurent Busine qui en était alors le directeur l’invite au Palais des Beaux-Arts à Charleroi, il expose au Plan K à Bruxelles, en France et en Allemagne. Son discours se fait de plus en plus architectural. Des réalisations urbaines, telles des bancs, des paravents, des pergolas, des maquettes, sont au centre de ses préoccupations.  » Je suis un artiste engagé, dit-il. L’art est toujours dans l’architecture. Le contexte stimule l’intelligence de l’artiste pour réagir contre une situation. L’espace public est pour moi très important car l’£uvre doit être accessible à tout le monde « .

Ses premières photos panoramiques datent de 1988.  » Une photo normale isole les choses. En revanche, une caméra panoramique embrasse le monde, avec tous les conflits qui coexistent « . Son intérêt pour l’architecture se matérialise aussi d’une façon très concrète, dans l’aménagement (avec la complicité de BOA, Brussels Office for Architecture) d’un immeuble de 1949, au centre ville, qu’il achète en 2000. L’espace est agrandi par l’ajout, sur le toit, d’un container recouvert de métal, débordant largement devant et derrière. Il abrite les bureaux de Marin Kasimir. A l’arrière, une ouverture a été créée pour assurer la liaison, via une passerelle, avec un bâtiment ancien, invisible de la rue, qui servait de dépôt de vin. Actuellement en chantier, il accueillera un show-room et les pièces de vie. Celles-ci sont provisoirement aménagées au second étage du bâtiment principal. Les murs de l’ancien appartement de quatre pièces ont été abattus pour faire place à un loft spacieux et lumineux.

Un mobilier sur mesure

Le  » patchwork  » au sol (plancher, carrelage et granito) témoigne de l’exiguïté des pièces d’autrefois et d’un autre mode de vie. Marin Kasimir a relevé le défi de dessiner et de réaliser le mobilier de cuisine, la bibliothèque et l’escalier, en suivant les règles des architectes modernes, sans vis, qui tiennent par les lois de la physique. L’escalier, conçu en bois et en métal, s’inspire de l’escalier créé par Le Corbusier pour la villa Guiette à Anvers. Multifonctions, il sert aussi de rangements. Parmi les £uvres du maître des lieux, la place d’honneur revient à la superbe photo panoramique autour du Pavillon Mies van der Rohe, construit pour l’Exposition Universelle de Barcelone en 1929. Au-dessus des fenêtres se déploie une longue esquisse de la fresque, destinée au musée en plein air du Sart Tilmant à Liège. Dans la cuisine, le regard est attiré par d’autres interprétations des photos panoramiques : des tondos ou images circulaires, introduites par des peintres italiens à l’époque baroque. Les deux tondos sont, une fois de plus, une réminiscence des expositions universelles et représentent l’Atomium et le Grand Palais à Paris. Partout ailleurs : décor minimal, lignes géométriques et fonctionnelles, conformément aux idées des architectes modernes (dont, notamment, Le Corbusier, Oscar Niemeyer, Jakob & MacFarlane), favoris de Marin Kasimir.

Barbara Witkowska

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