Et pour Madame, ce sera ?
La bière, une boisson à savourer au féminin? Entre la bière et les femmes, c’est plutôt l’histoire d’un vieux malentendu. Tenace, mais en bonne voie de se dissiper…
Dans un contexte qui connaît une diminution généralisée de la consommation moyenne de bière par habitant, le pourcentage d’aficionados de la bière ne cesse pourtant d’augmenter. Les bières spéciales et régionales connaissent un succès grandissant. Et embrayant sur un vaste mouvement de retour aux » saveurs naturelles » (bio), les brasseurs font aujourd’hui preuve d’une inventivité remarquable et proposent une gamme toujours plus étendue de produits neufs ou remaniés, tout en se conformant aux évolutions actuelles dans le domaine du goût (plus de sucré, l’amer en recul). Au diable les bières » light » ou autres légères en alcool mais fades au palais! Bien des études ont démontré l’illusion de la légendaire relation bière-embonpoint… du moins si l’on bannit l’excès!
Et pour madame, ce sera? Les chiffres sont éloquents, la féminisation de la société aidant, la femme fréquente les cafés (83%), à l’instar de son compagnon (93%), seule, accompagnée ou en groupe, sans tabous ni retenue, mais avec la modération érigée en règle de conduite. » En matière de bière, il n’existe aucune différence significative entre hommes et femmes, affirme Pierre-Emmanuel Raimond, tenancier du Moeder Lambic à Bruxelles (ce lieu de pèlerinage des » bièrophiles » est nanti d’une carte prodigieusement exceptionnelle). Il existe seulement divers degrés de familiarité… Et l’homme a pris un peu d’avance. «
Produits doux, fruités, pauvres en amertume, les bières dites de » bonnes femmes » séduisent, sans distinction de sexes, la » génération Coca-Cola « , avide de sensations sucrées. Elles peuvent être néanmoins de qualité honorable et inciter les consommateurs à se tourner ensuite vers des bières plus traditionnelles. » Je rencontre 3 types de comportements de dégustation face à la bière, enchaîne Pierre-Emmanuel Raimond. Et ceux-ci varient peu en fonction des sexes. Certains consommateurs découvrent la bière précisément par les produits dits de » bonnes femmes « . D’autres s’en tiennent aux » stars » du marché (Leffe, Blanche…). Et enfin, il y a un pourcentage non négligeable d’amateurs friands de découvertes et où figurent bon nombre de femmes. Il suffit de regarder la clientèle de ce café pour s’apercevoir que la bière n’est pas qu’une histoire d’hommes… On trouve aussi des femmes qui choisissent de savourer une bière forte à l’apéritif, avec ou sans leur mari. «
Un peu d’histoire
Le saviez-vous? La bière est bien une conquête de la femme ! Ses origines se perdent dans les méandres d’une époque floue (de -30 000 ans à l’antique Sumer). C’est à la période où l’homme se sédentarise et commence à travailler la terre, qu’apparaissent les formes primitives du pain et de la bière (qui recevra parfois l’appellation de pain liquide). Les deux recettes ont bien des éléments en commun: des céréales, de l’eau et une substance fermenticide.
La femme » gardienne du foyer » expérimente les effets inattendus de la macération d’une décoction de grains laissée quelque temps au repos dans un récipient rempli d’eau. La voici dépositaire d’un savoir-faire qui confine à la magie : le » miracle » de la fermentation. Abondent alors les représentations vouées aux déesses de la fécondité, censées assurer la fertilité des corps et de la terre, et bien des objets de rituels sacrés s’emplissent de bière en guise d’offrandes aux divinités.
Jusqu’à la fin du Moyen Age, et malgré l’occupation romaine (les Romains privilégient le vin), la bière reste une affaire féminine et une activité essentiellement domestique. A l’exception notable de la bière brassée dans le silence des abbayes. Cette longue et féconde relation bière-femme donnera naissance à un vocabulaire riche de termes, de qualificatifs et d’images sensuelles. Ne dit-on pas d’une bière comme d’une chevelure qu’elle est blonde, rousse, brune ? Que sa robe est trouble, brillante ou cuivrée ? Qu’elle a » du corps « , de la rondeur, de la générosité… La publicité, toutefois, générera une iconographie sexiste (depuis les pin-up des calendriers jusqu’à l’appellation » Pécheresse « , ourdies de connotations sexuelles destinées à titiller un désir formellement masculin.
Autre clin d’oeil adressé celui-là par mère nature: seuls des extraits provenant de plants femelles du houblon interviennent au cours du brassage. Les dérivés mâles, eux, sont impitoyablement écartés. Mais dépossédée de son savoir-faire ancestral sous les coups de butoir d’une industrialisation galopante des processus de fabrication (dès le XVIIIe), grandement améliorés et mieux maîtrisés dès la seconde moitié du XIXe siècle sous l’éclairage des travaux de Pasteur et de quelques autres chimistes brasseurs, la femme est alors rapidement reléguée dans l’ombre.
Dans les années 1970, en dépit d’incontestables apports en éléments nutritifs (vitamines B, sels minéraux…), la bière fera, elle, les frais du tout à la minceur. Elle disparaît sous ses variantes dites de » table » et se voit délaissée au profit de boissons basses calories ou à dominantes sucrées (coca, limonades…). Heureusement, les vents du changement n’allaient pas tarder à souffler.
Carnet d’adresses en page 73.
Yannick Hustache
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