Ferran Adrià, le gastronoclaste

Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Avec son célèbre elBulli, il a décroché 3 étoiles. Mais Ferran Adrià restera aussi dans les mémoires comme le pionnier de la cuisine moléculaire made in Spain. Expérimentant inlassablement de nouvelles technologies et textures… tout en valorisant les saveurs de la cuisine catalane traditionnelle.

Depuis l’éclosion de la fusion food en 1988, la critique gastronomique était en attente d’une révolution profonde. Pas un lifting de surface – en clair, hors de question de se contenter des acquis d’une énième cuisine traditionnelle remise au goût du jour – mais un véritable bouleversement copernicien opéré par les chefs eux-mêmes.

Les critiques l’ont rêvé, le chef catalan Ferran Adrià l’a fait – longtemps dans l’anonymat dans les années 90, par la suite en pleine lumière entre 2002 et 2010. Installé dans son restaurant elBulli, à Roses, près de Cadaquès, celui que l’on a surnommé le  » Brian Eno de la cuisine  » va jouer les apprentis sorciers en rapprochant science et gastronomie.

Pendant huit années, il figure dans le top 3 du fameux classement World’s 50 best qui reprend les cinquante meilleurs restaurants au monde, donnant ainsi le  » la  » gastronomique au reste du monde. Depuis qu’il est entré en cuisine, l’homme jette le trouble dans les goûts et les textures.  » Gastronoclaste « , Adrià l’est définitivement. Après lui, plus personne ne peut vraiment prétendre connaître le potentiel qui se cache derrière un produit dans la mesure où, aidé par la chimie, un melon se fait caviar, un bouillon de poulet se dessine sous la forme d’une tagliatelle translucide, tandis qu’une vulgaire peau de lait renaît raviole.

Pour mieux l’appréhender, il faut convoquer l’une de ses créations phares, l’espuma – un mot que l’on peut traduire par  » écume  » – soit, comme il l’affirmait,  » la texture la plus légère après l’air que nous respirons « . Espuma de foie gras, de menthe, ou d’eau de mer comme celle qui coiffait son huître meringuée… invention qui lui est venue alors qu’il repensait l’usage de son siphon à chantilly.

Mais il y a également l’alginate de sodium, ce gélifiant naturel contenu dans certaines algues, à partir duquel il imagine dès 2003 sa fameuse  » sphérification  » des liquides. Ce tour de passe-passe culinaire consiste à transformer n’importe quelle solution aqueuse en minuscules billes, cernées d’une peau proche de celle d’un jaune d’oeuf. Le procédé lui permet d’élaborer du caviar de pomme ou de thé vert. Aujourd’hui en perte de vitesse en raison de la froideur clinique qui lui est reprochée, la cuisine moléculaire – que l’on dénigre familièrement en parlant de  » molécucu « … – laisse néanmoins une série de techniques qui perdureront.

Cela dit, Ferran Adrià s’est toujours défendu de pratiquer une gastronomie restreinte, revendiquant des horizons plus larges que ceux de cette cuisine inspirée par la science. Le chef a également dû à plusieurs reprises se défendre contre le procès d’élitisme fait à son restaurant qui affichait l’étonnant bilan de 8 000 repas servis pour deux millions de demandes de réservations annuelles.

Cet élitisme de fait – lié à sa décision de fermer son restaurant 6 mois par an pour se concentrer sur la création – a toujours été pour lui un motif de frustration.

MICHEL VERLINDEN

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