Guillaume Canet » Je suis parano «
Héros noctambule des » Morsures de l’aube « , Guillaume Canet est en fait un sage et un couche-tôt. Un jeune homme qui se sent mieux dans ses bottes de campagnard que dans le stress urbain…
A le voir arpenter le Paris nocturne dans » Les Morsures de l’aube « , le premier film aussi singulier que prometteur d’Antoine de Caunes, on jurerait que Guillaume Canet est lui-même un oiseau de nuit. Le jeune acteur que l’on vit l’an dernier dans » La Plage » est en effet superbe de naturel dans le rôle d’un noctambule curieux, entraîné dans une déambulation aux accents fantastiques, accompagné d’un savoureux Gérard Lanvin et titillé par une vénéneuse Asia Argento. A la vérité, comme il nous le confie dans l’entretien qui suit, Canet serait plutôt du genre couche-tôt. Au Festival du film fantastique de Bruxelles, où nous l’avons rencontré, il semblait mal remis de la virée dans laquelle ses potes Lanvin et de Caunes l’avaient entraîné la veille. Le trio avait retrouvé son hôtel sur les deux heures et demie du matin. Pas de quoi se sentir fourbu. Sauf quand, comme le jeune Guillaume, on a l’habitude de se lever à l’aube pour aller chevaucher dans la campagne française…
Weekend Le Vif/L’Express: Vous n’êtes donc pas l’oiseau de nuit que votre aisance dans » Les Morsures de l’aube » laisse pourtant supposer?
Guillaume Canet: Eh non! Autant j’envie la gouaille, le sens de la répartie et l’humour décalé d’un Antoine de Caunes, toutes choses dont je ne suis pas moi-même capable dans la vie, autant je ne me sens pas attiré – toujours dans la vie quotidienne – par cette existence de noctambule qui est celle de mon personnage dans le film. Je n’ai rien d’un oiseau de nuit! Bien sûr, j’adore sortir de temps en temps avec des amis et faire la fête, mais je ne suis pas quelqu’un dont c’est l’habitude. J’ai trop de choses à faire pendant la journée pour m’en aller coucher ensuite à cinq heures du mat’. Franchement, je le voudrais même que je n’y arriverais pas… Et puis, je suis de la campagne. On s’y lève tôt, avec un programme fourni pour la journée qui commence!
Les amoureux de la nuit y voient un espace plus libre que celui, nettement plus réglé, de la journée. Vous pas?
Si, peut-être. La nuit implique plus de liberté mais aussi de surprise, comme si tout devenait possible. Mais, moi, justement, cela ne m’excite pas particulièrement, que tout soit possible y compris le pire. Il m’est arrivé de sortir dans des endroits un peu louches et je peux vous dire que je n’ai jamais eu l’envie de voir ce qui pouvait y arriver. Je n’ai pas ce genre de curiosité. Avec raison si vous envisagez ce qui m’arrive dans le film (rire)!
L’inconnu ne vous attire pas vraiment…
On peut dire ça, oui. Je préfère savoir ce qui m’attend, dans la vie de tous les jours en tout cas. Mes voyages, je les prépare, je ne m’en remets pas à l’improvisation, genre on prend l’avion et on voit une fois sur place où l’on loge et ce qu’on fait. J’aime au contraire planifier, réserver, choisir soigneusement les lieux, les activités. Je suis un peu maniaque, en fait (rire)… J’aimerais pouvoir vous dire que je suis un aventurier, mais non! Je fais des plans sans arrêt. Que je ne respecte pas (rire). J’aime bien programmer les choses. C’est un peu saoulant pour les gens qui m’entourent, d’ailleurs… C’est vraiment chiant, pour les proches!
Mais n’est-ce pas aussi source de plaisir, lorsque l’on vit déjà, longtemps à l’avance, dans l’imagination, les choses qu’on a planifiées? Un voyage, par exemple.
Je suis entièrement d’accord avec vous. Le plaisir est comme démultiplié. Vous vivez et vous revivez d’abord les choses dans votre tête. Vous pensez à un endroit où vous allez vous rendre et vous vous dites: » Ca va être génial, ça va être génial! » Parfois, bien sûr, vous êtes déçu quand la réalité vous ramène sur terre. Mais vous aurez eu, de toute façon, le plaisir anticipatif.
La même chose pour le travail?
Pas vraiment. Je tire bien des plans sur la comète, mais jamais sur un film qui ne m’a pas été proposé. Il faut qu’on m’ait demandé, désiré. C’est différent de la vie quotidienne où c’est mon désir qui me meut. Avec les films, mon propre désir ne peut que répondre à celui de quelqu’un d’autre qui veut me faire jouer tel ou tel personnage. Un projet dont j’ai simplement entendu parler ne peut pas me faire rêver. Il faut que le réalisateur me veuille, moi, pour ce projet. C’est à partir de ce moment-là seulement que je vais me mettre à anticiper, à rêver, à ruminer dans ma tête. Jamais, je ne pourrais, comme le font certains, appeler un réalisateur pour qu’il me donne un rôle. Je ne peux pas prendre l’initiative. Alors que j’aime plutôt la prendre dans la vie…
Lorsque le désir de l’autre, du réalisateur en l’occurrence, s’exprime à votre égard, vous arrive-t-il de vous demander ce qui l’a déclenché?
Je me le demande parfois, oui. Pour » La Plage « , pour le film d’Antoine aussi. Je m’interroge et je reste sans réponse. mais je préfère ça à l’inverse: devoir trouver les raisons pour lesquelles on n’a pas pensé à moi (rire)! Ca m’arrive aussi, ça. C’est moins drôle…
N’est-ce pas un peu la même chose dans une relation amoureuse. Le moment où l’on se demande: » Pourquoi moi, au fond ? « …
Exact. Le moment où vous vous demandez ça, vous savez que c’est mal barré (rire). C’est vachement parano. Et comme je le suis, parano…
Même les paranoïaques peuvent avoir des ennemis.
Ouais. Juste. Mais ma parano n’est pas dirigée contre l’adversité, ce n’est pas une parano bloquante. Elle est plutôt dirigée vis-à-vis de moi-même. Elle peut donc se révéler paradoxalement positive, enrichissante.
Avez-vous des endroits où aller, des choses à faire, où cette parano disparaît?
Oui, chez moi, à la campagne, loin de Paris, de tout ça. J’ai grandi à la campagne et j’ai vraiment besoin de prendre le maximum de temps là-bas. J’y retourne dès que je le peux. C’est le seul endroit où ça s’apaise vraiment, totalement. Les gens qui me voient là-bas me prennent pour ce que je suis, simplement, comme un des leurs. Après, quand je reviens à Paris et que je me retrouve dans le milieu cinématographique, quand je vais dans des soirées (ce que je ne fais pas souvent), ma parano revient. J’ai beaucoup de mal, dans ces soirées du show-business, parce que je n’arrive pas à cerner ce qui est vrai et ce qui est faux. Mais, à vrai dire, je n’ai même pas envie de faire l’effort. J’écoute les gens, je réponds sans dire grand-chose, mais ça ne m’intéresse pas plus que ça, en fait. Si j’y vais, parfois, c’est parce qu’il y a des gens intéressants, au milieu de tous les cons…
Existe-t-il une pression pour y aller tout de même, à ces soirées, pour se faire voir, pour rester présent à l’esprit des gens?
Non. Pas du tout. Celui qui se sent obligé d’y aller à cause du travail se trompe. Mais il reste vrai qu’on rencontre ainsi des gens qui cherchent une idée d’interprète pour un projet et qui vont se mettre à rêver sur vous parce qu’ils vous voient juste au bon moment. Mais ce serait tout de même triste de devoir penser que si on vous propose un rôle, c’est uniquement parce que le réalisateur vous a vu chez Machin et que sans ça, il n’aurait jamais pensé à vous (rire)!
Virginie Ledoyen dit qu’elle avait parfois l’impression qu’on la choisissait à cause de son physique, ou pour son jeune âge. Elle disait aspirer au test du temps et du vieillissement, avoir la soixantaine et encore trouver des rôles passionnants…
Moi, je n’ai jamais eu l’impression qu’on m’avait choisi pour ma gueule, ou pour ma jeunesse. Alors, j’ai le temps, je ne pense pas encore à mes vieux jours. Même si je serais sans aucun doute heureux d’être toujours là dans quarante ans (rire)!
Y a-t-il un artiste qui ait exercé une influence déterminante sur vous lorsque vous étiez gamin?
John Lennon. J’étais fana de Lennon. J’avais peint sa tête, énorme, sur un mur de ma chambre. Mes parents étaient ravis… C’était un mur blanc qu’ils avaient peint eux-mêmes. J’ai tout fichu en l’air à coups de marqueur. Ça m’a pris je ne sais plus combien de temps. Mais c’était John Lennon! Je m’en suis un peu lassé, je l’aime toujours mais à l’époque je l’adorais littéralement. Sa musique, son langage, son personnage me parlaient intimement. Aujourd’hui, j’aime Curtis Mayfield, Jeff Buckley, Mano Solo. J’ai des goûts éclectiques. Mais la musique reste quelque chose de majeur pour moi. Je trouve que le meilleur cinéma (celui de Scorsese, par exemple) a bien plus à voir avec elle qu’avec le théâtre ou la littérature. Ah ce plan de » Mean Streets » où Harvey Keitel voit arriver De Niro avec les deux filles, au ralenti, et que démarre » Jumping Jack Flash » des Stones! Wouaw! C’est carrément géant, hallucinant!
Propos recueillis par Louis Danvers
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