Jean Paul Ier brillez pour nous
Il a fait porter des jupes aux hommes et corseté les femmes, pour mieux les libérer. Rencontre avec un précurseur qui a désacralisé la mode.Le casque blond platine s’est fait blanc argent, le kilt a cédé la place au jeans noir et le gilet Dior a relégué la marinière sur la dernière étagère de son dressing room. Mais ni le regard ni le sourire n’ont perdu de leur malice. Quant au verbe, il reste prolixe, fulgurant, teinté d’un enthousiasme quasi juvénile. Jean Paul Gaultier a beau aligner trente-huit années de métier, il est toujours » l’enfant terrible de la mode » – une journée à ses côtés suffit à s’en convaincre. Et comme tous les gamins, il fait preuve d’une curiosité démesurée, posant, pêle-mêle, des questions sur l’architecture des maisons croisées au cours de notre balade bruxelloise, les noms des plantes grimpantes ou encore la presse belge.
Delphine Keldermans
» Heureusement que j’ai ce défaut-là, qui me permet de continuer à avancer. Parce que, pour le reste, je suis nostalgique de tout ! s’amuse-t-il. De ma grand-mère disparue, d’une certaine époque où, petit, je rêvais du monde de la couture, incarné par les plus grands noms. » Parmi ceux-ci, Pierre Cardin ou Jean Patou. Le premier accompagnera ses débuts dans la mode, le second le forcera, malgré lui, à déployer ses ailes. » A 17 ans, se souvient le créateur, j’ai envoyé mes croquis chez Cardin. Il m’a fait intégrer son équipe, sans même me faire passer de réel entretien d’embauche. Pourtant, les dessins en question, que j’ai récupérés depuis, étaient vraiment pataudsà «
Avec pour seule formation les rudiments de couture que lui a enseignés sa grand-mère et quelques expériences transgressives sur son ours en peluche – » inspiré par des corsets trouvés dans une malle, je l’avais affublé de seins pointus ! » – Jean Paul Gaultier intègre donc la prestigieuse maison, où il restera un an. » Au début, je n’avais aucun style. Mais j’avais intuitivement senti que chaque couturier en avait un. J’étais chez Cardin, j’ai donc fait du Cardin. «
Toy Boys et Bimbos
Chez Jean Patou, griffe plus conservatrice et pointilleuse sur les codes conventionnels de l’élégance, Gaultier se sent un peu à l’étroit. Trois ans plus tard, il retourne donc chez Pierre Cardin. Mais il faudra attendre le début des années 1980 pour que le grand public découvre son univers si particulier. Avec sa griffe personnelle, le couturier débarque en effet sur les catwalks comme on monte sur scène, accompagné de ces personnages hauts en couleur qui ne le quitteront jamais vraiment. Dès les premiers shows, on découvre le Toy Boy ( NDLR : homme objet) tout en marinière et tatoos ou la Parisienne version Kiraz, piquante, insolente, un rien gouailleuse. Un archétype qu’il décline sous différentes identités : à ses débuts, le banlieusard d’Arcueil aime faire défiler des filles excessives, pas toujours issues du milieu modeux – des très rousses, des très blondes, des très fortes, des très métissées. Pour son intronisation dans le cercle fermé de la haute couture, il met ainsi en scène Farida Khelfa, top d’origine algérienne, qui compte parmi ses mannequins fétiches.
En 1984, la jupe pour homme fait sourire et le bustier conique fait scandale. Un parfum de subversion qui séduit la Madone, que Jean Paul Gaultier habille pour trois de ses tournées mondiales. Tout comme Sheila avant elles, Yvette Horner ou Mylène Farmer montent également sur scène habillées par le créateur, qui se frotte aussi au cinéma, notamment avec les costumes de Kika, de Pedro Almodovar, ou du Cinquième Elément, de Luc Besson. Car, plus que tout, le styliste aime désacraliser les choses – il a offert une nouvelle identité à la vieillissante maison Hermès, dont il est également le directeur artistique – et casser les images. Y compris la sienne et, par extension, celle du couturier enfermé dans sa tour d’ivoire. Démonstration par l’exemple avec Eurotrash, émission qu’il co-animait avec Antoine de Caunes dans les années 1990, ou avec le dernier concours Eurovision de la chanson, qu’il a présenté aux côtés de Julien Lepers – » Une partie de plaisir, presque un rêve de gosse. »
Dans le même ordre d’idées, Jean Paul Gaultier entend bousculer la couture, quitte à la rudoyer parfois. Il en a déconstruit les codes, obligeant par là cette vieille dame un brin pompeuse à se frotter à la » vraie vie « , celle qui brasse les influences et les cultures. Avec pour résultat salutaire de lui offrir un bain de jouvence. Et surtout de la rendre populaire, au sens noble du terme.
Delphine Kindermans l
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici