La belle & la bête
(*) Ed. Gallimard, 196 pages.
Au milieu des superbes paravents en laque de Coromandel, si chers à la grande Mademoiselle, elle affiche son insolente beauté, un visage tout de grâce et d’élégance, une allure nonchalante de femme presque fatale. La Belge Ingrid Parewijk, notre beauty star de la semaine, appartient au club très fermé des tops courtisés par les marques de luxe les plus prestigieuses. Normal, elle est époustouflante. Une ambassadrice rêvée pour un spécial beauté. Et qui en fera craquer plus d’un… A l’exception, peut-être, de l’écrivain Richard Millet. Lui, c’est un irréductible. Les belles, il s’en fiche ! Il ne s’intéresse qu’aux moches, aux insignifiantes, aux disgracieuses, aux ternes. Un peu comme Mitterrand, grand séducteur devant l’éternel, et dont la légende veut qu’il choisissait ses proies non pas parmi les grandes séductrices, mais bien plutôt parmi les discrètes, les effacées, voire les laissées-pour-compte.
Son » Goût des Femmes laides « , Millet nous le donne à déguster dans un roman provoc (*), une longue tirade, toute de lucidité teintée d’une sacrée dose de cynisme. Dès le premier chapitre, il ne laisse planer aucune ambiguïté : » Rares les femmes qu’on puisse dire belles, presque toutes étant en quelque sorte des laiderons qui s’ignorent, avant de tenter d’apporter en aimant la preuve du contraire « . Rien de politiquement correct dans tout ça. On en frémit déjà. Mais, prudent, notre héros nous a entre-temps révélé sa fêlure : il est lui-même un » crapounaud « , un » limassou « , un » laidasson « , comme sa mère et son entourage le lui ont » amoureusement » glissé dans le creux de l’oreille quand il avait à peine 12 ans. » J’étais, moi, laid par essence, et sans espoir de transfiguration (…) J’allais devoir vivre avec ce masque épouvantable. » Le plus dur ? Les terribles miroirs que sont les yeux des filles. Certes, il aurait pu recourir à la chirurgie esthétique (un geste d’une banalité affligeante aujourd’hui). Il s’y est refusé : » La chirurgie, en dérangeant l’ordre de mes traits, ne pourrait qu’ouvrir un chaos là où il n’y a qu’une mauvaise terre. »
Mais la laideur ne protège pas pour autant du besoin d’amour. Comment le satisfaire ? Pourquoi pas ? avec les femmes délaissées, les transparentes, celles que l’on croise sans les voir. Et pour lesquelles il devient » un pis-aller « , un » objet de passage « , une » consolation inavouable « , un » merle que l’on mange faute de grive « . Car notre héros choisit de » faire de sa laideur de l’or « . Rayon conquêtes (dans lequel figureront aussi de bien jolies personnes), il fait mieux que se débrouiller, même s’il se défend d’être un » Casanova du rebut « , un » Don Juan de l’abîme « . Une vie en tous points comparable à bien d’autres. Pas extraordinaire peut-être, mais pas insignifiante non plus. Au contraire : » Si je n’avais pas été laid, je n’aurais rien eu de remarquable (…) La beauté, quand elle n’est pas exceptionnelle, ni le propre d’un être au fort caractère, étant souvent proche de la fadeur. »
Dont acte.
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Christine Laurent
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