La rébellion des riot grrrls
Elles sont de São Paulo, du Sri Lanka ou de Tokyo. Font du rock, ou du hip-hop, et ne manquent pas de caractère. CSS (à l’affiche du festival électro-rock des Ardentes à Liège), M.I.A. et The 5.6.7.8’s incarnent aujourd’hui la féminisation internationale de la scène alternative. les riot grrrls !
Des filles sauvages, sexy (parfois) et subversives (souvent) se sont infiltrées ces dernières années dans les rangs machos de l’industrie musicale. Peaches joue la sex-machine. Beth Ditto (chanteuse de Gossip) ouvre l’horizon aux lesbiennes et aux enrobées. Tandis que Karen O (du groupe Yeah Yeah Yeahs) incarne une version de la rockeuse anorexique fashion destroy. La rébellion féminine a cependant pris des couleurs et ne se limite plus aux seuls Etats-Unis et à l’Europe pour gagner à présent l’Asie et l’Amérique du sud.
Venues du Brésil, les filles de CSS figurent à l’affiche du festival liégeois des Ardentes (du 10 au 13 juillet) et sortent mi-juillet Donkey, leur second album. Elles ont déboulé il y a deux ans sur les ondes et dans les boîtes de nuit, sans crier gare, avec un premier disque rock teinté d’électro, déluré et dansant. CSS, c’est » Cansei de Ser Sexy » ( » lassées d’être sexy « , en portugais). Oui, les nanas ont le sens de l’humour. Comme en attestent les paroles de leur tube Meeting Paris Hilton. » Je veux être ton temps d’été Hilton. Avec 5 étoiles en diamant. Comme la plus grosse voiture de ton père. Je veux aller aux (hôtels) Hilton partout dans le monde. Et je veux être juste comme toi, garce. »
Si CSS a réussi à se faire un nom sur la scène internationale, le girls band n’est pas vraiment en phase avec l’industrie musicale brésilienne. » Nous sommes perçues comme très underground dans notre pays, explique la guitariste Ana Rezende. Pas mal de filles évoluent pourtant sur la scène alternative. Nous sommes issues de la mode, du design et nous n’appartenons pas vraiment à une communauté de musiciens. «
La scène brésilienne est de toute façon très différente par rapport à l’Europe et aux Etats-Unis. » Là, on trouve facilement des dates de concerts et on monte aisément des tournées, détaille la guitariste. Le Brésil est en revanche isolé et très pauvre. La population n’achète pas ou très peu de supports culturels. Un luxe pour eux. A vrai dire, au Brésil, nous n’aurions jamais pu espérer vivre de notre musique. Nous avons créé un groupe pour nous divertir, embraye Ana, pour amuser les gens le week-end. Les grosses maisons de disques brésiliennes n’ont aucune audace ni imagination. Elles s’alignent sur ce qui se vend à l’étranger et elles essaient seulement d’en trouver ou d’en créer des versions locales en portugais. «
Macho worldà
Parfois raillées, souvent snobées, les filles doivent généralement crier bien fort pour se faire entendre et ne pas rester confinées dans le rôle de potiche.
» Au Brésil, regrette Ana, on critique davantage le look des musiciennes que leurs chansons. Ce qu’on ne ferait jamais avec des hommes. Par ailleurs, personne ne nous a présentées comme un groupe pop qui misait sur sa plastique. «
Ana dévoile un tourne-disque tatoué sur sa cheville gauche. Le thème illustrant la pochette de la compilation des Bikini Kill, mythiques » Riot Grrrls » ( lire encadré, page 7) qui lui ont donné envie de se lancer dans la musique.
» On a aimé les Spice Girls. On a assisté à leurs concerts. Mais nous, nous sommes un groupe de rock. Nos idoles, adolescentes, s’appelaient Kim Gordon (Sonic Youth), Kim Deal (Pixies, The Breeders), Joan Jett (The Runaways) et Donita Sparks (L7). On a grandi avec leur musique et leurs groupes. «
» Elles nous ont appris qu’on n’avait pas besoin d’être ni des virtuoses, ni des hommes pour faire de la musique, » ajoute Carol Parra, l’autre guitariste de Cansei de Ser Sexy.
Ana n’a jamais perçu CSS comme un groupe féministe. » Nous sommes quatre filles qui formons un groupe de rock qui rencontre du succès en suivant ses propres choix. Dans notre manière de vivre toutefois, nous défendons les droits de la femme. Un jour, un père est venu nous dire que sa fille de 12 ans jouait de la guitare à cause de nous. C’est le plus beau compliment qu’on ait pu nous faire. «
Missing in action
Maya Arulpragasam, Londonienne, est originaire du Sri Lanka. Styliste, vidéaste, fille de rebelle tamoul, Maya a réussi à s’imposer sur la scène hip-hop. En trois ans et deux disques métissés. Tout en assumant un discours féministe et politiquement engagé.
» Je me sens parfois dépossédée, affirme-t-elle. A cause de la guerre dans mon pays, j’ai été coupée des traditions de ma communauté. » Si M.I.A. (pour Missing in Action) pose des questions sur le monde actuel, elle refuse toutefois d’être considérée comme un porte-parole.
» Je pourrais être sur le yacht de Timbaland ( NDLR : rappeur et producteur de musique américain) mais je veux vivre près des gens. Voir ce qui se passe autour de moi, affirme-t-elle. Je ne veux pas m’exprimer à la place des autres. J’aimerais en revanche lancer des ponts afin que les artistes puissent se faire entendre. J’espère qu’à l’avenir on verra de plus en plus de musiques différentes arriver sur le marché. »
En 2006, M.I.A. fut interdite de séjour aux Etats-Unis alors qu’elle n’avait plus de contact avec son père maquisard. » La musique est à mes yeux le meilleur moyen de communiquer. Elle est instinctive, directe, peu coûteuse. Mais pour avoir accès à la liberté d’expression dans ce pays, tu as tout intérêt à être américain. » M.I.A. a d’ailleurs été contrainte de masquer une référence au Front de Libération de la Palestine pour que MTV diffuse l’une de ses chansons.
» La politique est un sujet dont personne ne devrait avoir peur. Mais j’ai toujours dû lutter à cause de mes origines. Imposer le respect a mis plus de temps. » La jeune femme prend donc un malin plaisir à briser les stéréotypes. Pour tourner le clip de Boyz, elle s’en est allée en Jamaïque. » Les hommes là-bas, plutôt machos, n’ont pas l’habitude de voir une gonzesse débarquer et demander à une centaine de mecs de remuer les fesses pour une de ses vidéos. »
Made in Japan
Les 5.6.7.8’s existent depuis plus de vingt ans. Vingt ans que les s£urs Fujiyama ont fait du rock leur passion commune. Surf and trash, punk’n’roll, rockabillyà
En 2003, avec la sortie de Kill Bill, elles gagnent la reconnaissance internationale. Quentin Tarantino les découvre par hasard en faisant du shopping dans un magasin de vêtements à Tokyo. Juste avant de reprendre l’avion. Il est pressé. N’a pas le temps de trouver un disquaire et doit faire des pieds et des mains pour convaincre la caissière de lui vendre son CD. Les Japonaises atterrissent alors sur tous les écrans de la planète en entonnant leur chanson Woo Hoo (seules paroles du morceau) avant cette fameuse scène où Uma Thurman mate une armée de yakuza. Au fil des années, une dizaine de musiciens se succèdent pour épauler Sachiko et Yoshiko Ronnie. Toutes des femmes à l’exception d’un guitaristeà
» Eddie nous a quittées parce qu’il voulait jouer avec des hommes. Les autres, les filles, à cause de leur boulot ou de la pression exercée par leurs petits copains. C’est un gros problème pour les girls bands. Elles ont des enfants et doivent s’occuper de leur mari, du mioche et de la maison. Elles n’ont plus de temps pour la musique. «
Les Ardentes, Internet : www.lesardentes.be
CSS : » Donkey » (Domino), sortie le 21 juillet. En concert au festival des Ardentes ce 11 juillet. Internet : www.myspace.com/canseidesersexy
M.I.A. : » Kala » (XL Recordings). Internet : www.myspace.com/mia
The 5.6.7.8’s. Internet : www.the5678s.net ; www.myspace.com/ronnie5678s
Julien Broquet
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