Le monde selon Miyake

Répondant à l’invitation du créateur japonais, une dizaine d’artistes et de designers exposent, jusqu’au 6 juillet prochain, à Tokyo, leur vision de l’homme du xxie siècle. Un parcours initiatique que Weekend a pu découvrir en exclusivité aux côtés d’Issey Miyake.

Il y a quelque chose dans le sourire teinté de malice d’Issey Miyake qui pousse à l’optimisme. Envers et contre tout. Même dans ce xxie siècle de tous les dangers, ce début de millénaire aux accents d’apocalypse écologique qui menace notre pauvre planète, mise à genoux par les excès de l’homme moderne. Ce  » xxist Century Man  » qui, plus que tout autre, aura le destin de l’humanité dans ses mains, se retrouve aujourd’hui au c£ur d’une exposition pluridisciplinaire qui se tient jusqu’au 6 juillet prochain au tout nouveau musée du design de Tokyo.

Ouvert depuis le 30 mars 2007, le 21_21 design sight a déjà accueilli plus de 200 000 visiteurs. Ici pourtant pas de collections permanentes, mais des expositions thématiques confiées en alternance à chacun des directeurs du musée, le de- signer industriel Naoto Fukasawa, le graphiste Taky Satoh et le styliste Issey Miyake. Sur cet écrin de verre et de béton signé Tadao Ando, le toit triangulaire de 54 mètres de longueur réalisé à partir d’une plaque d’acier unique rappelle le procédé A-POC – pour A Piece of Clothes, autrement dit un seul morceau de tissu pour un vêtement – si cher à l’équipe du Miyake Design Studio (MDS). Dans l’univers d’Issey Miyake, la création n’a que faire du carcan des catégories : la mode inspire l’architecture comme le design – qu’il s’agisse d’une chaise de Ron Arad ou d’un aspirateur de James Dyson – inspire la mode.  » Aujourd’hui, nous ne vivons plus dans une époque où le design n’appartient qu’à quelques happy few, souligne, dans le catalogue de l’exposition, Dai Fujiwara, directeur artistique des principales lignes du label Issey Miyake. Le temps où l’on ne parlait de la mode que dans le contexte du vêtement est révolu, son champ d’action s’est très largement étendu. « 

 » J’ai l’impression que les frontières entre art et design ont de plus en plus tendance à s’estomper, renchérit Issey Miyake. Des pièces uniques, des £uvres d’art peuvent nous inspirer, nous faire réfléchir sur la manière dont les hommes, demain, devraient vivre, aller de l’avant.  » Pour chacun des créateurs invités à participer à l’exposition, un même briefing : il ne s’agit pas ici d’apporter des solutions à l’emporte-pièce – qui oserait d’ailleurs se targuer d’y parvenir ? – aux problèmes de notre planète mais de titiller le visiteur, de l’inviter à regarder son quotidien autrement, à dépasser ses peurs aussi.

 » Je dis toujours à mes collaborateurs qu’il ne faut pas être pessimiste, assure Issey Miyake. Même en situation de crise, les êtres humains arrivent toujours à se ressaisir et à poursuivre leur existence.  » Un message d’espoir qui transparaît aussi dans l’étrange installation créée par Issey Miyake lui-même pour l’exposition. Dans ce qui, de prime abord, ressemble à une grotte semblable à celles qu’habitaient les premiers hommes, huit jeunes femmes dansent, rendant un vibrant hommage à la Terre comme le faisaient autrefois les vestales des temples. Serons-nous réduits, face à la disparition progressive des ressources de notre planète, à revivre, un jour, dans le même dénuement que nos ancêtres ? Et si c’était le cas, n’aurions-nous pas, finalement, à y gagner, en redécouvrant peut-être par la force des choses, la beauté des gestes simples des techniques artisanales d’autrefois ? Entièrement fabriqué à la main, ce qui, lorsque l’on y regarde de plus près, s’avère être un dragon à huit têtes et huit queues aura nécessité plus d’un an de travail. Version moderne de la figure mythologique japonaise Yamata no Orochi, la bête – symbole de destruction en Occident, de créativité en Orient – est habillée de trois kilomètres de papier d’emballage industriel, chiffonné, repassé, découpé en rubans noués entre eux pour mieux ressembler à ces tissus tridimensionnels si chers à la mode d’Issey Miyake.

Recycler le papier plissé

Quelques heures plus tôt, une courte visite dans les laboratoires Pleats Please nous avait permis de mieux comprendre leur mise en forme.  » Un vêtement, ce n’est pas seulement la combinaison d’un croquis et d’un imprimé, explique Jude, aux côtés d’Issey Miyake depuis plus de trente ans. Pour habiller un corps 3D, il faut donner du volume à un tissu 2D. De tout temps, on a eu recours au plissé.  » La méthode Miyake, dévoilée en 1993, reste révolutionnaire : ici, tout est coupé et cousu avant d’être pris en sandwich entre deux feuilles de papier et glissé dans une presse chauffante qui induira le plissé permanent, le polyester passé à plus de 185 °C gardant pour toujours la mémoire de la forme qu’on lui a ainsi donnée.

 » Face aux enjeux de notre siècle, les designers devront proposer des objets, des vêtements exacts, qui rencontrent les besoins des gens tout en étant produits efficacement et proprement « , insiste Issey Miyake. C’est à ce titre qu’il s’est tout naturellement demandé ce qu’il pourrait bien faire de tout ce papier plissé, jusqu’ici envoyé à la décharge. Et c’est Ooki Sato, le génial fondateur du bureau de design Nendo, qui a accepté de relever le défi. Dans la lignée du Sacco de Zanotta, le fauteuil Cabbage se passe de toute armature rigide. Le papier plissé enroulé serré pour former un cylindre dru est l’unique composant de la structure. Pour obtenir le pouf, il suffit de peler, comme un oignon, la moitié supérieure du rouleauà

Plus près de la nature

Economie de moyens, production manuelle, récupération de ce qui, hier encore, n’avait peut-être aucune valeur. Invité par Issey Miyake à donner corps à l’homme de demain, l’artiste américain Dui Seid a construit son  » squelette  » à partir des branches de mûrier débarrassées de leur écorce dont les fibres servent à fabriquer le papier traditionnel japonais. Pour Dui, notre survie dépendra à la fois de notre intuition et de notre capacité à réduire nos besoins à l’essentiel. Une démarche qu’il a appliquée à la lettre dans sa recherche des morceaux de bois qui composent ce Stickman – littéralement homme en morceaux – dont les mains s’inspirent de celles d’un Bouddha chinois. Toutes les formes sont naturelles, aucune courbure n’a été forcée. En étudiant ainsi de près le moindre morceau de bois, le sculpteur s’est senti proche comme jamais de cette nature aujourd’hui en péril.

Aux côtés de ces artistes établis, Issey Miyake a aussi donné la parole à quelques jeunes pousses, comme le designer britannique Ben Wilson, formé par Ron Arad, qui signe un étonnant monocycle dont la conduite pour le moins aventureuse oblige à réveiller des réflexes primitifs anesthésiés par la vie d’aujourd’hui. Difficile aussi de ne pas être interpellé par les totems monumentaux uniquement constitués de papier et Scotch® tape du jeune artiste japonais Koutarou Sekiguchi, découvert dès sa sortie de la Tama Art University par un Issey Miyake toujours en quête de nouveaux talents à encourager.

 » J’adore les pousser en avant, les designers, les artistes, c’est amusant, ajoute le créateur qui, depuis qu’il a choisi de déléguer la direction artistique de ses marques en 1999, n’a de cesse de s’intéresser aux jeunes pousses. Dans tous les sens du terme, d’ailleurs. Car, lorsqu’on lui demande ce qu’il compte faire maintenant que l’exposition est lancée, il murmure, tout en mystère.  » Moi, j’ai toujours rêvé d’être agriculteur. Le mois prochain, je compte planter du riz, avec mon staff. Et je passerai les mois à venir à le regarder pousser. Je suis sûr que ce riz a énormément de choses à m’apprendreà « 

 » xxist Century Man « , 21_21 design sight, Tokyo Midtown Garden, jusqu’au 6 juillet prochain.

Isabelle Willot

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