Le panier bio wallon
La Wallonie bio s’impose, balayant bien des idées reçues. Des producteurs professionnels, amoureux de leur métier, de leur terroir et de leurs produits, en témoignent.
La pomme et la poire
Voici près de vingt-cinq ans que Marc de Froidmont a abandonné les méthodes traditionnelles d’arboriculture. Aujourd’hui encore, les méthodes dites » chimiques » nécessitent, en effet, plus de quarante pulvérisations par an. La plupart sont concentrées sur deux saisons : le printemps et l’été. Objectif? Lutter contre un des principaux ennemis des fruits: un champignon responsable de la tavelure qu’on identifie aisément par des taches plus sombres sur la peau et responsable de pertes de rendement.
Au milieu des années 1970, Marc de Froidmont est un précurseur. Le circuit de distribution des fruits bio est inexistant. Il reste donc au fructiculteur à présenter sa production à la criée. » On me prenait pour le fou, le timbré, le cinglé, confie-t-il. Je vivais pauvrement. Puis j’ai commencé à vendre chez moi. Aujourd’hui avec le magasin, ouvert le vendredi et le samedi matin, j’arrive à écouler 10 % de ma production sur place. «
Qui dit produits bio dit contrôle de la qualité et des processus de production. Les vergers bio utilisent pour tout engrais des phosphates naturels, des algues et, si le besoin s’en fait sentir, de la chaux magnésienne. Les pieds des arbres sont régulièrement désherbés mécaniquement. Deux produits sont autorisés pour lutter contre les parasites: le soufre et le cuivre qui peuvent être répandus de mars à juin; une pulvérisation au soufre tous les dix jours étant tolérée.
» Comme nous n’utilisons pas de produit pour la conservation des fruits cueillis, un soin tout particulier doit être apporté à la cueillette, souligne Marc de Froidmont. Les fruits sont placés dans des seaux ventraux que l’on vide à l’aide d’une poche située sous ce récipient, ce qui évite le choc de fruits que l’on déverse. «
Au fil des cueillettes, Marc de Froidmont propose trois variétés de poires seulement : la Doyenné, la Durondeau et la Conférence. En revanche, avec les années, il a pu s’adapter à la demande de pommes pour arriver à 19 variétés : les plus connues comme la Jonagold, la Granny Smith, l’Elstar ou de grands classiques d’autrefois comme la Reinette étoilée ou la Calville blanche, qu’on lui a demandé de cultiver » parce qu’elle contient le plus de vitamines. «
Comme tout fructiculteur, Marc de Froidmont obtient des fruits de moindre qualité. Lorsqu’il s’agit de pommes, elles sont pressées pour en extraire du jus. Quant aux poires, elles sont acheminées jusqu’à la siroperie artisanale. » Mon sirop est constitué de poires auxquelles je mélange, selon les années, 10 à 20 % de pommes, signale-t-il. Un sirop « tout poires » s’avère trop doux, les pommes apportent cette touche d’acidité qui soutient le produit. «
La poule et l’oeuf
La première chose qui frappe lorsqu’on approche les poulaillers de Jean-Luc Censier, ce sont les panonceaux » Entrée interdite » et les précautions dont l’éleveur s’entoure. Un pédiluve constitue le point de passage obligé avant d’apercevoir poules et oeufs. » Non seulement produire bio implique qu’on respecte les cahiers des charges spécifiques, comme celui de Nature & Progrès, note Jean-Luc Censier. Mais, en plus, nous respectons les normes du ministère de la Santé publique et de l’Agriculture. C’est, par exemple, le règlement Sanitel qui interdit l’accès automatique à mon élevage. «
Jean-Luc Censier connaît bien le monde de la volaille. Sept années durant, il fut conseiller itinérant au service de deux firmes d’aliments pour l’aviculture. Un jour, il doit expertiser le matériel d’une faillite dans un élevage bio. Rapidement sa décision est prise: il reprend l’affaire. » J’élevais déjà de petits lots de poulets pour ma consommation personnelle, poursuit-il. Tout simplement parce que je ne voulais plus consommer les crasses qu’on nous vend. «
Jean-Luc Censier se lance dans le bio, en reconvertissant un ancien poulailler de son village. » J’ai une capacité de 1 900 pondeuses, réparties en trois groupes, explique-t-il. Elles partagent un terrain de plus d’un hectare de prairies. Mais les cahiers des charges nous imposent une superficie beaucoup plus grande, pour épandre leurs fientes. En tout ma « ferme avicole » représente donc 12 hectares. «
Jean-Luc Censier n’était cependant pas un » accro » du bio. » Mon rêve était de produire sainement, précise-t-il. En faisant courir les volailles dehors. A priori, je ne songeais pas au bio mais les cahiers des charges et les organismes de contrôle sont importants pour gagner la confiance du consommateur. » Elevage délicat s’il en est, l’aviculture est souvent sujette à des maladies. » En traditionnel, vous repérez la maladie et vous la traitez, reprend Jean-Luc Censier. En bio, il faut apprendre à observer. Alors, on essaie de tout faire pour que l’animal soit en équilibre. D’abord, assurer un état sanitaire irréprochable dans vos locaux. Ensuite, donner de petits traitements de fond. Mes poules reçoivent régulièrement des dilutions de vinaigre de cidre qui est un bon désinfectant, du broyat d’huîtres pour le calcaire. En cas de maladie, on recourt à la naturopathie. «
Cette méthode d’élevage bien rodée s’avère bénéfique. » L’an dernier fut cependant assez difficile, reconnaît Jean-Luc Censier. Non pas à cause des maladies, mais des renards. Ils m’ont pris 350 poules. » Les oeufs ramassés chaque matin sont immédiatement marqués au cachet. » Si vous rencontrez un oeuf portant le numéro 1-3057, c’est qu’il aura été pondu ici, s’enorgueillit Jean-Luc Censier. 3057 est le numéro de mon centre de tri d’oeufs biologiques, agréé CEE. Pour mieux le rentabiliser, nous nous le partageons à quatre: moi, deux autres aviculteurs de la région et un qui vient de plus loin. Cette traçabilité est importante. Nous pensons à terme acheter une nouvelle machine qui imprimera aussi la date de ponte. »
La vache et le cochon
Jean-Pol Mossoux fait partie de la classe des grands éleveurs. Au sommet de la gloire dans la race Blanc Bleu Belge, voici dix ans, il a effectué, depuis lors, une spectaculaire conversion à l’élevage biologique. Aujourd’hui, il propose de la viande de boeuf et de porc au goût inimitable, au travers de son circuit de distribution.
» Quand un de vos taureaux gagne le concours Blanc Bleu Belge de Bruxelles, vous décrochez la timbale, lâche Jean-Paul Mossoux. En quelque sorte, vous êtes champion du monde de la race. » L’homme a l’âme de l’éleveur: celui qui fait naître et grandir des animaux. Mais plus encore, il a l’oeil du sélectionneur: celui qui peut déceler dans un bovin ce qui exulte le plus les critères de la pureté de la race, de la beauté d’une conformation.
Les lauriers conquis, au faîte de la gloire, Jean-Pol Mossoux se met à douter. » Le Blanc Bleu est un bétail artificiel, un animal qui a perdu toute rusticité, juge-t-il. La sélection à outrance a développé des tares qui se sont répandues comme une traînée de poudre dans les élevages par le biais de l’insémination artificielle. Certaines vaches ne donnent plus suffisamment de lait pour nourrir leurs veaux. Les animaux sont sensibles aux parasites extérieurs comme la gale et il faut les traiter sans cesse. «
Alors que d’autres invoquent la santé humaine lorsqu’il s’agit d’expliquer le passage au biologique, Jean-Pol Mossoux parle davantage de son élevage qui » s’enfonçait dans une voie sans issue. » » Lorsque j’ai commencé à vendre mes plus belles vaches, la rumeur a couru que je rencontrais des problèmes financiers, se souvient-il. Ensuite, quand j’ai acheté mon premier noyau de vaches limousines en 1994, j’ai été traité comme un traître, comme si je reniais mon propre sang. «
Pour réussir sa reconversion, l’éleveur s’adresse directement au consommateur. Il suit un cours du soir de formation en boucherie charcuterie, ce qui lui permet de commercialiser directement sous la marque » Ferme Mossoux. » » Mais, surtout, j’ai appris comment ne pas faire de la qualité médiocre, révèle-t-il. Dans ce cours, on vous explique comment élaborer de la saucisse, de la bonne saucisse. Puis on calcule le prix de revient. Et on vous démontre alors comment faire baisser les coûts en employant des matières premières de moindre valeur. Ainsi, le consommateur peut acheter jusqu’à 30 % d’eau dans sa saucisse… « .
Les produits Ferme Mossoux sont aujourd’hui diffusés en emballage sous vide par le canal des magasins diététiques et naturels. Plus de 80 références sont proposées, de l’os à moelle au pâté d’Ardennes, en passant par tous les morceaux de choix du boeuf ou du porc. Depuis peu, une première boucherie Ferme Mossoux a aussi ouvert ses portes à Bastogne. Une partie des produits sont aussi diffusés en grande surface. Mais lorsqu’il esquisse un premier bilan, Jean-Paul Mossoux aime raconter cette anecdote : » C’était à mes débuts. Un pharmacien de Liège passe une première commande. A l’heure dite et précise, je sonne à sa porte pour m’entendre apostropher d’un « Enfin là ! ». Devant mon étonnement, l’homme poursuit d’un grand sourire « Cela fait dix ans que je vous attendais… »
La bette et le potiron
» Il y avait autrefois une centaine d’horticulteurs dans la ceinture maraîchère de Liège. Il en reste heureusement une dizaine. Ils ont conservé des méthodes de production traditionnelles, en utilisant, par exemple, du fumier. Parce qu’ils savent que c’est bon pour l’équilibre de leur sol, donc de la plante.
» Notre première boutique, place Cockerill à Liège, occupe d’ailleurs les murs d’un ancien grossiste en fruits et légumes chez qui tous ces maraîchers apportaient leur production « , indique Paul Mathieu. Coiffé de son béret basque, l’homme fait figure d’ancien dans le monde du bio. » Lorsque vous n’êtes pas issu du monde paysan, le maraîchage vous semble plus accessible. Il faut moins de terre. Produire des radis va plus vite qu’attendre que des arbres fruitiers portent. Lorsqu’en 1981, j’ai cherché une formation, il n’en existait pas en Belgique. J’avais le choix entre les Pays-Bas, l’Allemagne et la France. Cette dernière s’est naturellement imposée, pour la langue. «
Paul Mathieu ne pouvait guère rêver mieux puisqu’il effectue un stage en Champagne dans une exploitation en biodynamie ( NDLR: la biodynamie peut être considérée comme une agriculture biologique qui intègre des composantes liées aux planètes, et des méthodes de fertilisation et de protection des cultures proches de l’homéopathie. Elle connaît actuellement un grand développement notamment auprès des vignobles français de grande réputation). De retour en Wallonie, il développe sa propre exploitation et s’installe, en 1983, dans le quartiers des Tawes, d’anciennes terres maraîchères et crée Al’ binète.
» J’ai d’abord commencé en famille, pendant sept ans, détaille Paul Mathieu. Nous faisions tout : produire, vendre sur les marchés. En 1990, nous avons vu que pour développer cette activité bio, pour la diversifier, il fallait plus de bras. On a donc choisi la structure coopérative. Aujourd’hui, nous cultivons des légumes sur 3 hectares. Il y a 40 coopérateurs dont 10 actifs, qui font tourner les diverses activités. » Car Al’ binète a connu de belles extensions. Les marchés de Huy et de Verviers et le magasin de Liège en sont une. Mais il y a aussi le catalogue de vente par correspondance de semences et plants biologiques et biodynamiques dont le succès va croissant.
Al’ binète est aussi à la base d’activités d’éveil à la nature et d’un potager collectif. Mais le grand projet du moment est l’ouverture à Rocourt de Bio Saveurs, une supérette bio de 400 m2. » Bio Saveurs est un projet plus vaste, martèle-t-il. Il était temps que chacun puisse faire ses courses bio avec un chariot, en ayant accès à un parking aisé. Nous avons donc rassemblé quatre spécialistes de produits frais : la boulangerie avec La ferme de la Croix (Villers-le Bouillet), la boucherie et la charcuterie avec CoProBio (Ath), les fromages avec Ecodis (Malmédy) et Al’ binète pour les fruits et légumes. Bien entendu, on y trouvera tous les autres produits d’épicerie, comme des pâtes, de l’huile, du sucre, mais uniquement dans le secteur de l’alimentation. » Et Paul Mathieu d’insister sur un des leitmotive de l’initiative: la traçabilité. » Le consommateur doit pouvoir mettre un visage sur le producteur. Il peut même lui rendre visite, lors des journées portes ouvertes organisées régulièrement. «
Carnet d’adresses en page 100.
Texte et photos: Jean-Pierre Gabriel
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