Le pouvoir de l’improvisation

Barbara Witkowska Journaliste

Rentrée foisonnante pour le chorégraphe d’origine suisse : Thomas Hauert sera sur le devant de la scène avec trois projets d’envergure. Pour donner un souffle neuf à la danse contemporaine et, grâce à l’improvisation, unir le corps et l’esprit.

Carte blanche ! Heinz Spoerli, directeur du prestigieux Ballet de Zurich, a donné carte blanche à son compatriote pour la création d’une pièce qui sera présentée, le 30 octobre prochain, en première mondiale, à l’Opéra de Zurich.  » J’ai choisi l’£uvre pour orchestre et accordéon solo Il Giornale della necropoli de Salvatore Sciarrino, compositeur contemporain italien, admirable pour son imagination sonore sombre, noire et mystérieuse. Elle dialoguera avec une scénographie surréaliste de l’artiste belge Michaël Borremans.  » Une toile de fond sur laquelle Thomas Hauert fera évoluer 12 danseurs du Ballet de Zurich, réputé pour son académisme. Un immense défi pour le jeune chorégraphe dont la marque de fabrique est l’improvisation !  » Aucun mouvement ne sera écrit. Ce sera très intéressant d’explorer la virtuosité des danseurs dans l’improvisation alors qu’ils n’en ont pas l’habitude.  »

En attendant ce grand événement, on pourra retrouver sa compagnie Zoo dans You’ve changed, spectacle présenté à Lisbonne en juin dernier et qui entame sa tournée belge le 13 octobre prochain au Stuk, à Louvain. Sur scène, une chorégraphie improvisée soutenue par la vidéo et des musiques éclectiques. Quant à Arte, elle diffusera prochainement, en première mondiale, un film ambitieux de Thierry De Mey, codirecteur de Charleroi/Danses, dont le moment fort sera la danse tournoyante sur La Valse de Maurice Ravel, chorégraphiée par Thomas Hauert et extraite de son spectacle Accords, créé en 2008.

Né en 1967, Thomas Hauert grandit dans un village bucolique de 500 âmes près de Bern. À 5 ans, il assiste à une représentation de Holiday on Ice. Une révélation !  » J’ai commencé à danser, à tournoyer, à faire des pirouettes, pour le plaisir. Tout n’était qu’improvisation et mouvements intuitifs.  » Il fait aussi du théâtre mais, pour ne pas contrarier ses parents, décroche un diplôme d’instituteur. Le désir de devenir danseur est cependant tellement fort qu’il s’embarque pour Rotterdam où il fréquente l’Académie de Danse pendant deux ans et demi. Puis, en 1991, séduit par la réputation d’Anne Teresa De Keersmaeker, il met le cap sur Bruxelles et rejoint Rosas, la compagnie de la danseuse et chorégraphe belge. Quelques saisons plus tard, nouveau départ pour travailler avec David Zambrano, maître de l’improvisation.

L’improvisation devient dès lors le centre de ses recherches. Car c’est elle, estime-t-il, qui doit donner un souffle neuf à la danse contemporaine. Il la fera se déployer pleinement au sein de sa propre compagnie, Zoo (un nom tout trouvé pour ces  » animaux étranges  » qui improvisent sur scène des mouvements naturels et spontanés débarrassés de toute contrainte), fondée en 1997. Aujourd’hui reconnue par la Communauté française, Zoo entame une résidence à Charleroi/Danses.

Avec Thomas Hauert, il faut que les corps parlent. Alors il les cuisine, les fatigue comme la pâte, les presse, les étire et les tord pour qu’ils expriment leur essence.  » Ma recherche consiste à trouver de nouvelles expressions pour chaque articulation et chaque muscle, explique-t-il avec passion, pendant que son corps tangue avec fluidité et que ses mains exécutent une danse frénétique. En Occident, le rapport au corps reste problématique. Un préjugé tenace continue à diviser le corps et l’esprit et à perpétuer la supériorité de ce dernier. La danse contemporaine doit changer ce rapport, car elle voit l’être humain comme un tout. Le langage est certes un outil magnifique mais il faudrait faire plus confiance à son corps. Son potentiel est infini, à condition de l’  » ouvrir  » pour découvrir de nouvelles perceptions, sensibilités, voire sensualités. Bref, on devrait profiter beaucoup plus du corps pour naviguer dans le monde. « 

www.zoo-thomashauert.be

Barbara Witkowska

Le langage est certes un outil magnifique mais il faudrait faire plus confiance à son corps. Son potentiel est infinià

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content