Les » susurreuses » from America
Leur folk-rock privilégie l’acoustique et la mélancolie est leur grande copine. Portraits de 5 jeunes voix made in USA en quête d’intimité.
Depuis la nuit des temps, le rock a ses partisans du funambulisme, faisant danser les chansons sur des accords mineurs équilibristes, planqués dans les sous-bois du spleen et de l’intimité. Et puis, l’acoustique prend spectaculairement son tour de mode dans les années 1990, lorsque MTV discipline l’électricité volcanique de Nirvana et d’autres dans ses fameux Unplugged caressants. Aujourd’hui apparaît une nouvelle génération de filles, parfois très jeunes, qui pourraient être les anti-Riot Grrrl. Evidemment, derrière leurs trousseaux de mélodies aimables le cristal des » susurreuses » cache parfois des fêlures monumentales, mais dans l’attitude pacifiée se lit aussi la volonté d’apaiser une époque pour le moins troublée. Cette vague veut être entendue, pas seulement écoutée, comme l’exigèrent aussi leurs marraines des sixties/seventies : les Canadiennes Joni Mitchell et Buffy Sainte Marie et la New-Yorkaise Joan Baez. Les » susurreuses » glissent leurs mots dans des chansons qui réclament du sens et de l’attention, croisant souvent des ambitions de sauvegarde de notre planète et de notre spiritualité. D’où ces feelings organiques récurrents. D’un point de vue plus cosmétique, on constatera que les » susurreuses » ne comptent pas de blondes dans leur rang : les brunes, c’est clair, n’y comptent pas pour des prunes !
MARIEE SIOUX La néo-folk cosmique
Son look. La touche néo-folk range cette drôle d’indienne dans le clan des brunettes possiblement romantiques, mais le regard de braise décourage toute approche irrespectueuse.
Son parcours. Née en février 1985 de parents aux origines multiples (mexicaine, polonaise, hongroise, espagnole), Mariee Sioux Sobonya a grandi en Californie en s’imprégnant des traditions propres à ses ascendances indiennes. A l’âge tendre de 17 ans, elle prend la route pour la Patagonie où elle enseigne aux indiens locaux l’art de la guitare. Et elle n’a que 22 ans lorsque sort, en 2007, Faces in the Rocks, son premier album où son père l’accompagne à la mandoline.
Ses chansons. Extrêmement dépouillé, le travail musical de Mariee s’appuie essentiellement sur sa voix et la guitare acoustique. Dans ce canevas dénudé, on retrouve les traces du folk des sixties, même si ce genre semble – strictement – intemporel. D’autant que les thèmes plongent dans les racines de son histoire personnelle, de la mythologie nord-américaine et d’une certaine connexion cosmique avec Mère Terre. Ainsi, Two Tongues at One Time raconte comment les ancêtres de Mariee ont traversé les terres sauvages de l’Amérique il y a des centaines d’années. Dans les accords patchouli, on sent encore l’odeur des bisons qu’ils croisèrent par milliers.
Sa place au soleil. Juste derrière sa s£ur de c£ur californienne Alela Diane – elles sont nées dans la même communauté – avec laquelle elle partage d’ailleurs une esthétique et, régulièrement, des scènes conviviales le temps d’une chanson. Ou plus. Mariee Sioux est en concert le 23 février prochain, à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles (*).
JOLIE HOLLANDL’éclectique souriante
Son look. Un peu transformiste, parfois en chignon de type secrétaire, plus souvent mettant sa chevelure rousse dans une pose légèrement rétro qui peut rappeler le Hollywood d’avant-guerre. Tatouages non compris.
Son parcours. Née en mai 1976 au Texas de parents ayant des origines louisianaises créoles, Jolie apprend intuitivement la musique sur un piano-jouet dès l’âge de 6 ans. Elle s’est d’abord fait connaître au sein de Be Good Tanyas, groupe néotraditionaliste, avant de s’embarquer pour une carrière solo que la presse américaine a comparé à celle d’une » Norah Jones rugueuse « . Après des débuts lo-fi, ses albums ont gagné en orchestration et aussi en finesse d’écriture, ses textes rappelant la plume des auteurs beatnik voyageurs, dont Tom Waits.
Ses chansons. Sur la pochette de The Living and the Dead (Pias), son quatrième album, Jolie arbore un ravissant sourire qui tranche avec la marée montante de son spleen musical et fixe un homme qui dissimule son contentement en baissant les yeux, comme pour mieux cacher un embarrassant souci amoureux. La belle se laisse parfois aller à un folk-rock entre Emmylou Harris et Sheryl Crow ( Your Big Hands) mais revient sans cesse labourer le terreau organique ( Fox in Its Hole, Love Henry), et casse définitivement notre pessimisme en chantant Enjoy Yourself, littéralement écroulée de rire, en toute fin de disque.
Sa place au soleil. Son éclectisme non puriste, flirtant autant avec le folk que la pop, la country ou le blues, a une vraie fibre populaire, sans sous-entendu péjoratif.
ALELA DIANELa conteuse méditative
Son look. Tout droit sortie d’un remake woodstockien macrobiotique, la belle jeune femme aux robes de paysanne façon xixe siècle, évoque d’emblée une autre époque, d’avant Internet, qui a pourtant largement contribué à la faire connaître.
Son parcours. Née en avril 1983 à Nebraska City, Californie, Alela Diane Menig est fille de musiciens. Son premier album est d’abord sorti en 2004 aux Etats-Unis seulement, en version artisanale totale – 650 exemplaires manufacturés et emballés à la main – avant de gagner d’autres sphères étrangères via le bouche-à-oreille du web et des concerts.
Ses chansons. D’emblée, c’est la voix, formidablement assurée qui séduit. Alela nous raconte des histoires et on l’écoute. La guitare, protectrice, favorise la naissance de mélodies qu’on attrape au vol, sans difficulté, comme Dry Grass & Shadows, Oh My Mama, The Rifle ou The Pirate’s Gospel, son irrésistible tube tout droit sorti d’un coffre à merveilles des années 1920. Alela chante la famille, la nature, avec une qualité méditative qui impressionne.
Sa place au soleil. Elle est où Diane ? Au sommet de la catégorie. Son To Be Still paraîtra au printemps prochain, synchro avec un concert d’Alela le 7 avril à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles (*).
RACHAEL YAMAGATALa yonsei romantique
Son look. Eurasienne aux longues boucles de noir encre, Rachael est la synthèse physique de son origine » yonsei » qui désigne la quatrième génération d’américano-japonais dont elle est issue de par son père, et des racines italiennes et allemandes héritées de sa mère.
Son parcours. Née en septembre 1977 à Arlington en Virginie, Rachael grandit entre les résidences de ses parents divorcés, Washington DC où son père est avocat, et New York, où sa mère est artiste peintre. Elle a travaillé six années et sorti trois albums avec Bumpus, un groupe fusion expansif de Chicago. Aujourd’hui, bien qu’en solo, elle a aussi la générosité de partager son talent sur les disques d’autres artistes américains de qualité tels que Jason Mraz et Bright Eyes.
Ses chansons. Le larynx un peu élimé, ses intonations rauques ne se frottent pas de plaisir à une guitare acoustique mais plutôt à un piano qui guide la plupart de ses épanchements. Dans un même morceau – par exemple Little Life – Rachael peut parfaitement commencer les premiers couplets dans une sonorité d’absolutisme zen avant d’escalader quelques reliefs plus orchestrés. Dans le second et double album qui nous parvient aujourd’hui, Elephantsà Teeth Sinking Into Heart, ses paysages sonores trahissent un profond romantisme, nourri d’intonations que conjugue la mélancolie d’une éminente section de cordes.
Sa place au soleil. Pop-star ou à l’ombre de la seconde division? Il suffirait d’une chanson : Duet, menée avec le génial Ray Lamontagne, peut-être, pour forcer le destinà
JESSICA LEA MAYFIELD La destroy mélancolique
Son look. Garçon manqué, coupe tailladée par des ciseaux de grand-mère new wave, tee-shirt volontiers punky et, cerise destroy, un anneau dans le nez.
Son parcours. Née en août 1989 dans une famille musicienne de l’Ohio, Jessica embarque dès l’âge de 8 ans dans des tournées-virées qui nourrissent la tribu. Elle écrit ses premières chansons alors qu’elle n’a que 11 ans, admirant sans retenue le Foo Fighters de l’ex-Nirvana Dave Grohl. Elle finira, pour notre plus grand bonheur, par en sortirà
Ses chansons. De longues tirades où la voix plaintive de JLM se fait percuter par des guitares électriques toutes sales, semblant surgir derrière le paravent de la mélancolie pour poivrer le morceau, avant que l’acoustique ne vienne à nouveau nous caresser les oreilles. Dans son premier album qui paraît en ce mois de janvier, With Blasphemy So Heartfelt (Munich Records), Jessica souffle ainsi le show et le froid, servant volontiers des morceaux dont les couleurs sombres réussissent néanmoins à réchauffer les c£urs.
Sa place au soleil. Vu son jeune âge et la finesse de son écriture, la Division 1 est envisageable.
(*) Internet : www.abconcerts.be
Philippe Cornet
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