PASSION GOURMANDISE
(1) » Le Roi Carême « , éd. Albin Michel, 432 pages.
(2) Weekend Le Vif/ L’Express en réunit 15 dans un superbe hors-série gourmet qui rassemble pas moins de 101 recettes, des plus simples aux plus raffinées. En vente en librairie.
Il a chatouillé les papilles des plus grands : Napoléon, Talleyrand, Murat, George IV, Alexandre Ier, les Rothschild… De Paris à Moscou, en passant bien sûr par Londres ou Vienne, on ne jurait que par lui. Marc-Antoine Carême était une star, un maestro brillantissime des pianos, le » Palladio » de la cuisine française, diront même ses fervents admirateurs. La France sort de la Terreur, elle veut faire la fête. Passionné, Carême explore de nouveaux territoires culinaires, établit de l’ordre là où il n’y avait que chaos, codifie les recettes, allège les préparations, crée le vol-au-vent, le mille-feuille, les charlottes à base de biscuits à la cuiller, invente de nouveaux modes de cuisson.
Pas question de se soumettre aux visions étriquées du passé. Vingt ans après 1789, ce fils d’ouvrier de rivière ruiné fait » sa » révolution. Antoine Carême » de Paris » sera le premier, aussi, comme le rappelle dans un livre érudit et passionnant, Philippe Alexandre et Béatrix de l’Aulnoit (1), à bénéficier d’une vraie reconnaissance sociale tant auprès de l’aristocratie, qui le sacrera roi, que de la grande et petite bourgeoisie, celle des héros balsaciens.
Ducasse, Ferran Adria, Veyrat, Blumenthal ( lire en page 10), sans oublier nos jeunes chefs belges (2), le XXIe siècle ne manque pas de super chefs coqs toqués ou non qui, eux aussi, sont confrontés à l’alchimie délicate entre terroir et création, tradition et évolution. Mais plus question de monopole du bon goût, de tabous, place désormais au droit au gastronomiquement incorrect ! Car si hier, on salivait selon sa culture, son rang, son pays, un langage collectif, un code reconnu et partagé par tous, voici venue, aujourd’hui, l’ère du chacun son régime, chacun son plaisir. World food, fusion food, slow food, finger food (à savourer sans couteau ni fourchette), slunch time (contraction entre supper, souper, et lunch, déjeuner, soit un repas vite fait le dimanche fin d’après-midi), snacking (qu’on peut traduire par grignotage)… l’anglais chasse même le français des terres des fins cordons-bleus où la langue de Voltaire jusqu’ici s’imposait.
Happenings culinaires ? Soufflés médiatiques ? Shows, paillettes ? Grande soupe populaire pimentée d’exotisme ? Pas sûr. Le goût est un voyage, un vrai. Bravo donc et merci aux valeureux explorateurs qui, comme Carême, s’aventurent dans de nouveaux continents gourmands. Nous apprenant ainsi à aimer l’inconnu… celui qui nous veut du bien.
Christine Laurent
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