Quand l’art flirte avec les parfums

Barbara Witkowska Journaliste

Ouvres parfumées, installations sur le thème des odeurs et de l’olfaction, flacons revisités par une artiste de renom, notes de jazz accompagnées d’effluves subtils. Les artistes et les parfumeurs tentent, ensemble, de nouvelles expériences.

L’opus silencieux de Claudine Drai

Son actu. Un magnifique triptyque vient d’être installé dans l’Espace prière (l’aumônerie £cuménique qui réunit trois religions dans un cadre commun) de l’aéroport de Roissy, à Paris. La Parisienne Claudine Drai y a collé, multiplié, juxtaposé, superposé et froissé des lés de papier de soie (sa marque de fabrique), déclinés dans un camaïeu de blancs et de bleus.  » Au départ, je voulais juste créer une £uvre qui témoigne de l’essence commune d’un même monde. J’essaie d’agir sur ce qui sépare les êtres.  » Une amie, interpellée par sa dimension spirituelle, en parle aux aumôniers de Roissy. Le rabbin, l’imam et le prêtre perçoivent, aussi, le triptyque au-delà du religieux, comme un trait d’union. Claudine Drai cède l’£uvre gracieusement. Ayant l’habitude de mêler les parfums à son travail, l’artiste demande aux parfumeurs Christine Nagel et Julien Rasquinet de composer une fragrance :  » Odeur plus qu’un parfum, c’est un voile mystique fait d’encens et de bois, réchauffé par de l’ambre gris et des muscs donnant l’impression d’une étrange présence, troublante et indéfinie. Les épices sensuelles (angélique, carvi, muscade, baie rose) et les notes fraîches lui donnent une dynamique, une merveilleuse impulsion dans l’espace.  »

Son £uvre.  » Le papier est devenu mon monde intérieur. Les sculptures et les déchirures sont pour moi des gestes de pensée, ils se rattachent à des émotions personnelles et disent une forme de silence. Je suis toujours en relation avec cette réalité non visible, je suis habité par ça. Ma compréhension du monde passe par ma façon d’être au monde.  » Depuis quelques années, le parfum,  » cette autre réalité non visible « , accompagne le travail de Claudine Drai. Des effluves spécialement créés pour ses expositions soulignent le mystère de ses £uvres. Certains tableaux, dont un très beau dessin Sans titre de 2003 (mine graphite sur soie et sur toile) est  » protégé  » par un voile de soie dans lequel a été encapsulé une délicate fragrance (travail réalisé par les ateliers Hermès à Lyon).

Les chroniques olfactives de Boris Raux

Son actu. L’£uvre de Boris Raux Le Tour du monde : 80 déodorants Ushuaïa : fleur de tiaré du Pacifique, fleur d’hibiscus de la vallée du Nil, litchi du Vietnam, papaye du Brésil, pulpe de coco des îles sous le vent, pulpe de grenade des Açores, orchidée du Mexique et vanille de Polynésie a décroché le prix Cristal lors du 53e Salon d’art contemporain qui s’est tenu à Montrouge (Paris), en avril dernier. Elle met en scène des déodorants dont les noms invitent à l’évasion.  » Cette installation paradoxale où je joue sur l’ambiguïté et la dualité est un questionnement sur la mondialisation, l’écologie et l’industrialisation. Les vaporisateurs étaient pleins, les visiteurs pouvaient découvrir les senteurs. Mais il s’agit évidemment d’un leurre : les molécules sont synthétiques. Les senteurs sont censées nous faire voyager mais on est dans un univers totalement fictif.  »

Son £uvre. Boris Raux a une double formation : scientifique (il est ingénieur) et artistique (il est diplômé de l’école des Beaux-Arts à Reims, section design). Son travail de plasticien porte sur l’univers olfactif.  » Il est impossible d’échapper à l’odeur, souligne-t-il. Nous pouvons arrêter de voir, de toucher mais nous sentons à chaque respiration. Cela dit, nous avons très peu de mots pour décrire les odeurs. Ce manque de précision du langage renforce l’imaginaire et le place dans le registre de l’émotion et des sensations. Mon travail est un questionnement sur l’artificialisation, l’identité, les habitudes, la mémoire, l’enfance et les lieux.  » Quelques exemples ? Kubor met en scène un espace tapissé de bouillons cubes. L’Escalier, lui, est construit avec des savons de Marseille, tandis que La Rougeole représente une commode décorée de Fraises Tagada. A noter : les réflexions futures de Boris Raux porteront surà les vrais parfums.

Les couleurs positives de Sophie Matisse

Son actu. Arrière-petite-fille d’Henri Matisse et petite-fille par alliance de Marcel Duchamp, Sophie Matisse rencontre Kilian Hennessy en décembre 2007, à New York, lors du lancement de sa ligne L’£uvre Noire (six parfums très haut de gamme).  » Kilian m’a proposé de collaborer à une édition d’artiste. L’idée m’a plu.  » Un an plus tard, le résultat est là : 50 flacons et écrins peints à la main, signés et numérotés. Le regard est flatté par des taches de couleurs fraîches et vives, assemblées d’une manière complexe mais spontanée.  » Mon but est d’inviter le spectateur à vivre une expérience très intime, poursuit l’artiste. La complexité des images renvoie à celle de la vie et de l’amour. Je voudrais susciter une réflexion autour de ces thèmes. Je voudrais que le spectateur, en découvrant ces images, se perde comme il peut l’être en contemplant un bijou précieux ou une relation amoureuse.  »

Son £uvre. Née en 1965 à Boston, Sophie Matisse s’est formée à l’école des Beaux-Arts, à Paris. Sa première  » période  » débute en 1997 avec la série Missing People Paintings (des tableaux sans personnages). Elle interprète les chefs-d’£uvre de Léonard de Vinci, Gauguin, Vermeer ou Vélasquez dont elle fait disparaître les personnages. Une manière, pour elle, de renouer avec le passé. Sa seconde  » période « , commencée en 2005, s’appelle Zebra Stripe Paintings. Les toiles superposent deux images. Des éléments de tableaux classiques et célèbres sont recouverts de zébrures psychédéliques et très colorées en forme de flammes.

Carnet d’adresses en page 96.

Barbara Witkowska

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