Rêves sur canapé
(*) » L’Inconscient de la maison « , par Alberto Eiguer, éd. Dunod (2004).
C’est bien plus qu’un frémissement. Un véritable chambardement. Fini le home compartimenté avec, bien à leur place, parfaitement identifiés, salon, salle à manger, cuisine et salle de bains. A bas les cloisons, vive la fluidité, les espaces modulables qui permettent de passer de l’intime au partage. Nul formalisme désormais, juste l’envie de donner, de recevoir, de s’entraider.
Une maison que l’on rêve belle, toujours plus belle. Enrichie de projets qui font fantasmer : jardin suspendu dans le salon, hammam ou jacuzzi dans la salle de bains, piscine en sous-sol, dressing sophistiqué pour accueillir des placards surchargés, salle de gym performante à l’étage… Le nec plus ultra. Avec pour corollaire la multiplicité des pièces, la disparition progressive de la salle à manger, le rôle croissant de la cuisine. Mots d’ordre : de l’air, encore de l’air, du confort, du raffinement et de la convivialité.
Une vraie révolution douce. Car plus que jamais notre nid est devenu lieu d’affirmation de soi. C’est bien en son creux, aujourd’hui, que l’on se libère des conventions pour se livrer sans frein à la mise en scène de sa propre image. Une forme de régénérescence qui tourne résolument le dos à l’autoprotection. Recevoir n’est plus une obligation, mais un plaisir à partager avec les proches, les intimes. Rien à cacher. Ne reste que le plaisir d’exhiber, sans ostentation, le fruit de notre imagination et de notre créativité. Et de prouver qu’il y a bien concordance entre ce qu’on laisse apparaître de soi dans la vie de tous les jours et son intérieur.
Car on est au plus près de son intimité en décorant sa maison, le lieu le plus secret, le » chez soi « . Qui change avec nos désirs, notre évolution personnelle, l’air du temps aussi. Mais entre nos quatre murs, on se dépouille de ses rôles sociaux pour exprimer goûts, besoins, racines, histoire familiale. Le c£ur de la condition humaine.
Un attachement si profond que si, un jour, on doit le quitter, librement ou non, ce lieu ô combien sacré, la perturbation peut être violente, bouleversante. Sur l’échelle humaine des traumatismes, on prétend même qu’elle se glisse en deuxième position, juste après le décès d’un être cher. Normal. Car un déménagement est bien un lourd processus qui consiste à aller d’un dedans construit patiemment vers un dehors qu’il faudra investir à nouveau. Un passage obligé qui implique de faire le deuil du premier espace pour réaliser l’indispensable » récupération » du deuxième (*). Une zone de transit qui demande, pour s’en dégager, un vrai travail, délicat, et que seul le temps permettra.
Christine Laurent
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