Saga Africa
Cet Anglais venu de la vidéo à la photographie, taille dans le monde sauvage de superbes images d’une tragique beauté animalière menacée de disparition. Il s’expose à Bruxelles.
La qualité des photos est imposante. Pas seulement par les tirages – une orfèvrerie en noir et blanc – mais par la matière première : des animaux sauvages confrontés à une nature qui l’est tout aussi spectaculairement. Nick Brandt a choisi d’installer son théâtre photographique dans l’Afrique orientale des éléphants et des guépards, du gorille impérial et des girafes.
C’est en tournant un clip pour Michael Jackson en Tanzanie que la révélation a lieu. Nick Brandt, 45 ans, s’en explique : » J’ai toujours aimé les animaux, depuis l’enfance, mais je n’avais jamais réussi à fusionner mon besoin de créer à cet amour. Quand j’ai visité pour la première fois l’Afrique de l’Est en 1996, je suis tombé amoureux de l’endroit, il y avait quelque chose dans la faune et dans la nature environnante, qui a capté mon imagination et la photographie m’a semblé la meilleure façon d’exprimer cela. «
Le casting est là, énorme, brut, dessiné par la lumière, dramatique, exceptionnelle. Renforcée et retravaillée par Photoshop, une technique dont l’artiste dit » ne pas vouloir abuser « , évitant de dénaturer la qualité première – et impressionnante – des négatifs 120 mm obtenus par l’utilisation du très performant Pentax 67. D’où ces nuages qui ne ménagent pas les gris d’encre et ces reliefs de peau qui, à eux seuls, constituent déjà une fabuleuse cartographie visuelle. Brandt : » Je dois généralement attendre longtemps pour obtenir les bons sujets aux bons endroits avec la lumière et le ciel idéaux. Pour moi, un grand ciel bleu sans nuages constitue un enfer visuelà J’utilise aussi des filtres pour dramatiser davantage les ciels . »
Chaque participant de cette saga animalia semble destiné à un rôle dont l’éléphant prendrait la part du lion. Parmi les images symboles de l’exposition bruxelloise et du livre qui l’inspire, il y a une photo verticale qui représente le pachyderme majeur face à l’objectif. L’éléphant boit, la trompe plantée telle une paille géante dans la rivière, et n’a aucune envie d’être dérangé. Pour arriver à ce résultat visuellement époustouflant, Brandt se met lui-même en danger, s’approchant au plus près de l’animal : » Etre proche joue une grande différence dans la capacité du photographe à révéler sa personnalité, il faut être près de lui pour saisir son âme . »
Le noir et blanc plutôt que la couleur simplement parce que le premier est plus adéquat pour traduire un monde qui s’évanouit devant nos yeux. Et l’argentique plutôt que le numérique parce que ce dernier n’a pas le caractère irrémédiable de l’ancêtre photographique. Brandt peut passer plusieurs semaines, en attente de la photo idéale. Cette quête, modelée par la patience et l’endurance, le conduit dans des endroits qui semblent eux aussi en dehors de la vaine frénésie du monde. Tels que l’Amboseli National Park ou le Maasai Mara au Kenya, refuges des espèces devenues rares et des histoires marquantes qui les accompagnent.
Les images de Nick Brandt saisissent et respectent l’animalité sacrée de ses sujets : chaque pose semble raconter une histoire qui ramène sinon à l’aube de l’humanité, tout au moins, à des milliers d’années. Aucune trace apparente d’être humain dans ces paysages beaux comme des décors de Kubrick. Mais en photographiant un monde animal qui disparaît, Brandt se charge aussi de rappeler à l’homme son irresponsabilité planétaire. » Même s’il ne l’est pas littéralement, oui, mon travail a un sens politique « , affirme le photographe anglais. On a rarement vu autant de grâce et de force tranquilles. Si les animaux parlaient, ils salueraient sans aucun doute l’instinct et le talent de Monsieur Brandt, portraitiste singulierà
Nick Brandt, A Shadow Falls, à la Young Gallery, 75 b, avenue Louise, à 1050 Bruxelles. Du 12 novembre au 13 février 2010. www.younggallery.com
PHILIPPE CORNET
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