Thora Birch » L’école est souvent un théâtre cruel «
A 18 ans, la jeune révélation d' » American Beauty » joue la carte de l’humour et de l’autodérision. Rencontre avec une Thora Birch un brin rebelle mais diablement attachante.
Le bleu ciel est à la mode chez les filles de son âge… Et Thora Birch s’en est peint les ongles, en plus d’arborer une veste de cuir azur. Les yeux – comme les cheveux – sont de jais. Le regard a cette noirceur un peu inquiète, un peu rebelle, qu’on remarquait déjà dans » American Beauty « , le chef-d’oeuvre qui la révéla au grand public. Dans ce film remarquable, elle était la fille de Kevin Spacey, et subissait les approches d’un jeune voisin voyeur. Mais l’adolescente avait déjà de nombreux rôles à son actif: elle fut notamment la fille de Don Johnson et Melanie Griffith dans » Paradise « , puis celle de Harrison Ford et Anne Archer dans » Patriot Games » et sa suite » Clear and Present Danger « . Une apparition non créditée mais mémorable dans » Anywhere But Here « , de Wayne Wang, au côté de Winona Ryder, dévoilait, elle, le potentiel d’une jeune actrice originale, qu’il faudra seulement ne pas trop comparer à celle qui truste aujourd’hui la plupart des rôles de jeunes filles un petit peu décalées ou étranges: Christina Ricci… On oubliera charitablement le navrant » Donjons et dragons » (actuellement à l’affiche) où Thora campe sans conviction une impératrice en butte aux menées maléfiques d’un mage incarné par Jeremy Irons. Et on attendra bien plus impatiemment » Ghost World « , adaptation d’une bédé célèbre par l’excellent Terry Zwigoff ( » Crumb « ).
Weekend Le Vif/L’Express: Face à une toute jeune actrice, on se demande inévitablement dans quelle mesure elle joue, et dans quelle mesure elle n’est pas simplement à l’écran ce qu’elle est dans la vie?
Thora Birch: Durant assez longtemps, la gamine qu’on voyait sur l’écran, dans chaque film et dans des rôles différents, c’était simplement moi, telle que j’étais aussi dans la vie réelle. Par la suite, au-delà de mes 10-12 ans, des différences sont apparues. Mais pas tant que ça. Je me sens encore très proche de ce que vous voyez à l’écran. Je n’ai pas grandi à un autre rythme, ni très différemment, dans mon existence quotidienne. Je ne fais pas encore de nette séparation entre la vie et le cinéma. Je travaille de manière très naturelle, instinctive. Il y a donc forcément beaucoup de moi dans mes personnages, pour l’instant. Mais cela changera forcément.
Comment avez-vous vécu le fait de grandir sous l’attention de l’industrie du film, du public et des médias?
Cela a commencé lorsque j’avais seulement quatre ans et demi, alors c’est devenu pour moi comme une chose naturelle, normale. Je sais bien que ce n’est pas le cas, mais c’est l’impression que j’en ai. Je ne suis donc pas perturbée par ces choses. J’ai des amis qui n’ont rien à voir avec le milieu du cinéma. Ce petit groupe d’intimes me maintient bien les pieds sur terre. Ma famille aussi a la bonne attitude. Surtout mon petit frère. Vous pourrez toujours compter sur lui pour me rappeler que, malgré tout, je ne suis qu’une fille comme les autres (rire)! Il a 9 ans et un sacré caractère. Il ne s’en laisse pas raconter.
Avant la naissance de votre frère, étiez-vous enfant unique?
Oui, et je pensais même le rester (rire)! Je me disais que si mes parents avaient voulu un autre enfant, ils n’auraient pas attendu neuf ans. J’avoue que ça m’a fait bizarre, d’un coup. Ce fut même assez dur. Je croyais être définitivement l’unique centre d’attention de mes parents et voilà qu’apparaissait un bébé qui exigeait sa part à grands cris. Je me mettais facilement en colère contre lui, j’étais assez jalouse. Les quatre premières années n’ont pas toujours été rigolotes. Mais maintenant qu’on a grandi tous les deux, nous nous entendons bien mieux.
Une jeune fille dans votre situation peut-elle suivre une scolarité normale?
Pendant les primaires et le secondaire inférieur, j’allais en classe à peu près comme n’importe qui d’autre (sauf quelques absences pour les tournages débordant la période des vacances). Par la suite, j’ai continué mes études de manière indépendante, avec des cours par correspondance. Quand j’ai un problème, je peux toujours appeler un répétiteur pour cours particuliers. Cela m’arrive même lorsque je suis en tournage. Les professeurs viennent sur le plateau où je meuble régulièrement les périodes d’attente en étudiant et en faisant mes devoirs. J’ai juste fini le secondaire et tout est O.K.
Cette indépendance vous a-t-elle évité certaines pressions souvent ressenties par les adolescents face aux profs, à l’autorité, aux autres élèves?
Sans aucun doute, et c’est tant mieux. Mais l’adolescence reste une période vraiment moche de la vie, qu’on soit fille ou garçon. L’école est souvent un théâtre cruel, un univers impitoyable où les vacheries qui vous attendent dans le monde adulte vous sont servies en avant-goût… à la puissance 10 (rire)! Mes amis ont vécu des trucs navrants. Ils ont détesté le lycée et je les comprends. Je le détestais déjà avant de le quitter, en sachant que ça ne pouvait qu’empirer. On est toujours plus fragile, quand on est ado. On change, soit trop vite soit pas assez rapidement. On ne s’aime pas, alors tout vous atteint d’autant plus fort.
Avez-vous l’humour acerbe?
L’humour est une arme d’auto-défense, et ne dit-on pas que la meilleure défense est parfois l’attaque (rire)? C’est vrai que j’aime l’humour à froid, la dérision. L’autodérision aussi, bien sûr. Aucun adolescent ne devrait ignorer l’autodérision. Il y a toujours chez lui ou chez elle quelque chose dont il vaut mieux rire…
Quelles ont été les conséquences du triomphe d' » American Beauty » sur votre statut à Hollywood?
Je reçois des scénarios que je n’aurais jamais eu la moindre chance de lire auparavant. Et les gens rappellent plus vite lorsque je laisse un message. Le temps mis à être rappelé par les huiles des grands studios est très révélateur de votre position dans la hiérarchie (rire)… Mais, pour moi, ce rôle a surtout marqué un pont entre une phase » gamine « , avec des rôles légers, tournés vers un public plus jeune, et une autre phase plus » âgée « , plus complexe, plus riche.
Vous fixez-vous des objectifs, ou allez-vous là où le courant vous porte?
Ce serait me flatter moi-même que de me dire capable de déterminer aujourd’hui le cours des choses, professionnellement parlant. L’industrie du cinéma est ainsi faite que vos choix se limitent à l’offre qu’on vous fait. Je tâche seulement – ce n’est déjà pas si mal – de ne faire que des choses dont j’ai vraiment envie. Pour le contrôle réel des choses, il faudrait que je fasse moi-même mes films, devenir réalisatrice. J’y pense. Un jour je le ferai. Mais ne me demandez pas de fixer une date (rire)! En fait, je suis littéralement amoureuse de tout ce processus du cinéma, de l’écriture au montage en passant par la réalisation, la lumière, les costumes, la musique.
Votre passion du cinéma vous conduirait-elle à négliger la vie réelle, comme c’est le cas de certains de vos collègues, surtout ceux qui comme vous ont commencé très jeunes?
Négliger, non. Mais il est sûr que je n’aurai pas forcément vécu autant de choses moi-même que quelqu’un qui ne passe pas une bonne partie de son temps à être quelqu’un d’autre. Je ne m’en fais pas, je ne crois pas qu’il faille nécessairement adhérer intimement à un personnage. On ne joue pas nous-mêmes à l’écran, on peut imaginer, et aussi préparer. C’est un travail, pas une manière de vivre. Enfin si: c’est une manière de vivre! Même que Jack, mon père, est en même temps mon manager (rire)!
Vous êtes supposée donner le bon exemple à votre petit frère, aussi?
Evidemment. Et vous savez quoi? C’est le pire de tout (rire)! Vous me voyez en bon exemple? Je ne suis pas sûre de m’en tirer si bien que ça…
Ne jouez-vous pas un peu à vous montrer moins mûre que vous ne l’êtes en réalité?
Vous avez remarqué ça? Je dois vous avouer qu’en fait, dans mon entourage, on m’a toujours trouvé plus mûre que la normale pour mon âge. Depuis l’âge de 12-13 ans, j’ai la tête plutôt bien sur les épaules, en vérité…
Les médias américains vous comparent volontiers à Christina Ricci.
Oui, et ce n’est pas juste. Surtout peut-être envers elle. Elle est trop jeune pour qu’on cherche une » nouvelle Christina Ricci « ! Tout ça, c’est le signe d’une incapacité de plus en plus manifeste qu’ont les gens – dont c’est pourtant le métier – de décrire les choses pour ce qu’elles sont, sans passer forcément par les références faciles et les étiquettes toutes prêtes.
Vous sentez-vous » en famille » avec certains autres jeunes acteurs à Hollywood?
Pas vraiment. Je ne fais partie d’aucune clique, et je remonte sur la colline au-dessus de Los Angeles (où se situe la maison familiale) dès que la journée de travail est achevée. Je suis née à Los Angeles, mais j’aime conserver une certaine distance géographique et mentale.
Quels sont vos films préférés?
Quand j’étais petite: » Les Aventuriers de l’arche perdue » et » Casablanca « . Maintenant c’est » Pulp Fiction « .
Propos recueillis par Louis Danvers
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici