Un chausseur sachant chausser

Venu au soulier par hasard, le créateur Jean-Paul Barriol ne fait aucun faux pas quand il mène les femmes par le bout du pied. Portrait d’un architecte de la chaussure.

Qui n’a jamais rêvé d’avoir un homme à ses pieds? Avec Jean-Paul Barriol, concepteur de la marque Accessoire, toutes les accros des belles chaussures marchent vers le 7e ciel.

 » Les femmes aiment les chaussures, les hommes aiment les femmes, donc les hommes aiment les chaussures « , formule le créateur.

Au-delà du barouf généré par les baskets et autres tatanes dérivées ici de la cothurne et là du sabot orthopédique, le créateur aux faux airs de Georges Brassens habille nos petons avec un sens subtil de l’élégance et du confort. Diplomate jusqu’au bout des orteils, Jean-Paul Barriol déclare que  » la meilleure hauteur de talon, c’est celle avec laquelle une femme se sent bien « .

Chez ce chausseur sachant chausser, le soulier demeure ultra-féminin, surtout quand il se met à l’heure estivale. Témoin sa collection de l’été 2001 qui franchit, sans entorse, le muret entre sophistication et nonchalance, allure impeccable et humour prêt à lâcher la bride. Tantôt citadine en escarpin de baby veau – le matériau fétiche de Barriol – laissant nu le talon ou en sandale parachevée par un bouquet de fines lanières, tantôt tropézienne en mule ouverte de vernis vichy ou en tong incrustée de fleurs, tantôt adepte du noir et blanc et tantôt fidèle au culte de la polychromie… la femme qui trotte dans la tête de Jean-Paul Barriol serait-elle une synthèse entre Brigitte Bardot et Marilyn Monroe?

Il est vrai que les fifties, période à laquelle ces deux  » bombes  » blondes explosèrent, sont (re)mises à l’honneur cette saison. Il est vrai qu’en ce temps-là le claquement d’une mule ou le tic-tic d’un escarpin étaient indispensable à qui voulait afficher une démarche royale et une cambrure digne d’une Diane chasseresse.

Influencé par les icônes d’un âge d’or à jamais gravé sur le disque dur de nos mémoires, Jean-Paul Barriol (50 ans) avoue cependant qu’il était trop petit pour se souvenir du quotidien des années 1950.  » En revanche, explique-t-il, les stars de cinéma, leur façon de se mouvoir, de marcher m’ont marqué. Elles dégageaient une élégance absolue… Cela dit, je mêle toujours plusieurs thèmes au sein d’une nouvelle collection de chaussures.  » Loin de sauter à pieds joints sur une seule et même idée, Jean-Paul Barriol plante aussi l’aiguillon de son inspiration dans maints canevas. Comme, par exemple, celui de l’attitude, nonchalamment chic, des Africaines et des Orientales qui circulent en aplatissant du talon l’arrière de leurs chaussures.

S’il ne peut complètement fuir les tendances, le chausseur, qui se défend d’être un  » modeux « , marche davantage à l’émotion et à l’instinct.  » J’assemble dans ma tête une espèce de puzzle mental où chaque idée, chaque coup de coeur vient s’imbriquer aux autres, précise-t-il. Une fois les pièces réunies commence le vrai travail, la genèse (dessins, sélection des matériaux, prototypes…) de la chaussure.  » Passionné par son produit et mordu de son métier, Barriol en parle comme un compositeur infatigable, toujours prompt à livrer des partitions différentes mais harmonieuses. Pourtant, rien ne prédisposait cet architecte ( NDLR: il a étudié l’archi aux Beaux-Arts de Saint-Etienne près de Lyon) et photographe de formation ( NDLR: il a suivi des cours de photo à Vevey, en Suisse) à craquer pour les jolis croquenots. Certes, le savoir-faire artistique et le sens du beau se rencontrent dans de nombreuses disciplines qui, de prime abord, n’ont guère d’atomes crochus. Quoique. Le jeune Jean-Paul, qui conçoit des décors de théâtre, des affiches de pub et des pochettes de disques, va tomber par hasard dans la  » marmite  » de la mode. Malade et obligé de garder le lit, il ronge son frein jusqu’à ce qu’une copine, qui travaille chez Kenzo, lui propose de dessiner une série de chaussures pour le styliste japonais. Barriol accepte et cette collaboration débouche sur un réel succès. Roger Vivier, le maître incontesté de l’escarpin, lui adressera d’ailleurs de chaudes félicitations.

Sa sensibilité, sa maîtrise des lignes et des proportions ainsi que sa conception architecturale du produit amènent Jean-Paul Barriol à travailler pour d’autres designers tels que Michel Klein, Nino Cerruti et, plus tard, Sergio Rossi. Très vite, il lance Accessoire, sa ligne perso, en 1976. Suivront les lignes Accessoire Détente (des chaussures destinées aux loisirs et au week-end) et Lundi Bleu (des produits à prix très doux). Ces  » habits pédestres « , à l’exception de Lundi Bleu qui est fabriqué au Portugal, sont créés à Saint-Symphorien-sur-Coise, entre Lyon et Saint-Etienne, la ville natale de Jean-Paul Barriol. Là où, jadis, dans l’axe de la vallée du Rhône, fourmillaient les entreprises artisanales (tanneurs, fabricants de chaussures, de semelles ou de talons, rubanniers, etc.).  » L’usine où j’ai installé Accessoire en 1997 ( NDLR: un site de 3 500 m² qui emploie 115 personnes et produit annuellement plus de 110 000 paires de chaussures) est une des plus anciennes en Europe, poursuit Jean-Paul Barriol. Elle remonte à 1802, du temps des campagnes napoléoniennes!  »

L’influence des talents séculaires des artisans-chausseurs couplée à l’inventivité et au flair créatif de Barriol a permis à Accessoire de mettre le pied sur de nombreux marchés en Europe, Asie et Amérique du Nord.  » Nous allons recentrer certains magasins à Paris et créer de nouveaux espaces, plus larges afin d’encore mieux mettre en valeur nos produits, enchaîne le chausseur dont la société compte, aujourd’hui, 22 magasins monomarques et 320 points de vente.  » En outre, nous ouvrirons un flagship store en septembre à New York, dans le quartier de Soho ou de Nolita. Cette boutique new-yorkaise s’inspirera de celle de l’avenue Louise, à Bruxelles, dont j’ai confié la réalisation à l’architecte belge Marc Corbiau.  » Dotée d’un éclairage indirect, de tons neutres mais vibrants et de plans larges où règnent les lignes horizontales, le pied-à-terre bruxellois d’ Accessoire ménage en effet aux chaussures de Jean-Paul Barriol un espace cohérent dans lequel les petits objets qu’elles sont ne perdent jamais leur identité.

 » Lorsque je regarde mon parcours, je me dis que l’architecture et la mode sont décidément soeurs jumelles « , constate Jean-Paul Barriol qui conseille aux femmes d’acheter leurs chaussures comme elles le feraient d’un vase ou d’un verre, parce que les proportions les séduisent. L’élaboration d’un vêtement ou d’une chaussure répondent aussi à des règles précises. Comme pour la construction d’un immeuble, il faut tourner autour des mêmes volumes puis leur conférer plusieurs variantes. Le secret d’une robe, d’une chaussure ou d’une maison réussie repose sur l’osmose entre les réalités techniques et les rêves esthétiques. « 

Avec une telle philosophie et un produit qui conserve, sur le vaste marché du soulier, une image forte, Jean-Paul Barriol peut envoyer promener ceux qui prétendent qu’une chaussure ne peut concilier beauté et fonctionnalité.  » Certaines femmes développent plus que d’autres des affinités avec les talons hauts, conclut-il en souriant. Mais ça, c’est avant tout une question d’individualité et d’allure personnelle. A l’instar des cheveux courts, de la minijupe ou du port de bijoux qui sortent de l’ordinaire. « 

En laissant donc la femme prendre le pas sur la chaussure, Jean-Paul Barriol prouve qu’il n’est pas un  » dictateur au petit pied « .

Marianne Hublet Carnet d’adresses en page 96.

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