Le Negroni sbagliato mérite-t-il son titre de « cocktail de l’hiver »?
23, 33, 43, 53 ans: voit-on forcément la vie autrement avec (plusieurs fois) dix ans d’écart ? Positionnés chacun dans une décennie différente, nos journalistes confrontent chaque vendredi leurs points de vue en débattant des sujets dont tout le monde a parlé lors de la semaine écoulée. Cette semaine : le Negroni sbagliato
Appartenant respectivement aux générations Z, Millenial et X, Thibault Dejace, Kathleen Wuyard, Nicolas Balmet et Nathalie Le Blanc confrontent leurs points de vue sur le buzz du moment dans notre chronique « 10 ans d’écart ». Le sujet de la semaine?
Le Negroni sbagliato
Soit, officiellement, le cocktail (officieux) de l’hiver 2022, sa popularité ayant été lancée non pas par Nigella Lawson, qui en chantait déjà les louanges il y a quelques années, mais bien par une interview de la star non-binaire de la série « House of Dragons » Emma D’Arcy. Sussurant d’une voix rauque le nom de sa boisson favorite, soit « un Negroni au prosecco », et enivrant TikTok au passage. Mais le Negroni sbagliato est-il à la hauteur de l’emballement qu’il a suscité sur les réseaux sociaux et, par effet de ruissellement, dans les bars branchés?
Thibault, 23 ans : « Le cocktail qui fait tourner la tête du tout TikTok (et la mienne) »
Ce court extrait vidéo hante mes pensées et ne semble pas vouloir quitter mon cerveau. L’accent british des deux actrices n’y est probablement pas étranger. Mais voir Olivia Cooke et Emma D’Arcy échanger leurs cocktails préférés a laissé une trace indélébile en moi. Et les réseaux sociaux ont, bien évidemment, grossi le trait.
« A Negroni, Sbagliato… with prosecco in it. » Okay Emma, je vais m’en faire un, pas besoin d’insister. Pour ce faire, j’ai besoin de Campari, de vermouth (doux, de préférence) ainsi que de prosecco, le tout à part égale. N’ayant aucun des trois chez moi, un trip au supermarché s’imposait. Et après un rien de recherches pour mettre la main sur le vermouth doux recommandé, j’avais de quoi me préparer ce fameux cocktail qui fait tourner la tête du tout TikTok (et risque de faire tourner la mienne). Un verre bien frais, quelques glaçons, et le mélange était prêt. Il n’y avait plus qu’à.
N’étant pas un fan absolu du Negroni, que je trouve un poil trop amer pour mon palais (trop ?) délicat de base, je dois bien avouer que j’avais quelques réserves. Mais dès la première gorgée, mes doutes se sont envolés. Pour reprendre notre chère Olivia : « Stunning ! ». Allez, je m’en fais un second, à siroter devant le dernier épisode de « House of the Dragons », ce n’est jamais que la troisième fois que j’ai repris la série.
Kathleen, 33 ans : « Pas l’amer à boire »
« Attention, il est traître ! « . L’exclamation, prononcée moins sur le ton de la mise en garde que de l’encouragement, laisse supposer que la traîtrise est une qualité recherchée en ce qui concerne les cocktails. Sauf qu’invariablement, le lendemain matin, la trahison n’a plus le goût doux et frais d’une limonade alcoolisée mais bien celui, amer et acide, d’un douloureux duo mal de tête + estomac retourné.
Après avoir été « trahie » une fois de trop et avoir juré que celle-là, c’était la dernière, je préfère mes cocktails francs du colliers: difficile de biberonner jusqu’à l’ébriété une boisson dont l’amertume pousse à faire la moue à chaque gorgée. Raison pour laquelle j’ai d’abord approché avec suspicion la promesse d’un Negroni adouci façon Spritz.
Et pourtant, je dois bien le reconnaître: quand je l’ai vu à la carte du Roannay, je n’ai pas résisté. Et je n’ai pas non plus été déçue: frais, délicat, parfumé, il a tout pour plaire et transporter dans une rêverie ensoleillée façon « Vacances romaines ». Ou bien peut-être les ai-je enchaînés avec trop d’enthousiasme ? C’est ça, le souc-hips, quand un cocktail n’est pas l’amer à boire.
Nicolas, 43 ans : « Ne retient-on donc jamais les leçons du passé ? »
Au risque de casser un peu l’ambiance, je n’ai plus bu de cocktail depuis environ une décennie, et encore, si j’ai accepté d’en boire, c’est sûrement parce que j’étais soûl. Trop sucrés pour moi, ces trucs-là. Et trop de bazars dans un même verre, alors qu’on m’a toujours répété qu’avec l’alcool, la règle cruciale était « pas de mélange ! ».
Bien sûr, sur la forme, je n’ai rien contre le Negroni Sbagliato qui, au-delà de sa jolie couleur de coucher de soleil méditerranéen, arbore une folle élégance. Sauf qu’en me plongeant dans l’un ou l’autre article le concernant, qu’apprends-je, ô diantre ? Que le mot « sbagliato » signifie tout simplement « erroné » ou « incorrect ». Traduction : nous sommes-là face à une vile imposture, et on est bien d’accord que ce n’est pas moi qui le dit.
Je me permets donc une petite question : à l’heure des fake news, des fausses lèvres, des faux cils et des faux-jetons (ok, ces derniers ne sont pas si neufs que ça), est-ce bien raisonnable de se prendre d’affection pour une nouvelle contrefaçon et, pire, de l’aduler au point de s’en servir pour s’enivrer ? N’a-t-on pas déjà assez souffert avec l’émergence du Coca Light au début des années 80 et qui, aujourd’hui, coule des jours heureux dans nos magasins, en toute impunité ? Ne retient-on donc jamais les leçons du passé ? Désolé, mais à un certain moment, il faut oser poser les vraies questions.
Nathalie, 53 ans : « Mini préparatifs, maxi effet »
« With prosecco in it », clarifie Emma D’Arcy en confiant à sa co-star dans le prequel de « Game Of Thrones » que le Negroni sbagliato est son cocktail de choix. Sans déconner, Sherlock : bien sûr qu’il y a du prosecco dedans, c’est même de là que vient le « sbagliato » de ce « faux Negroni » en français dans le texte. Ce que je sais puisqu’il y a cinq ans déjà, Nigella Lawson avait profité de son émission de Noël pour raconter l’histoire de ce cocktail, né par hasard au Bar Basso, à Milan, après qu’un barman ait remplacé par mégarde le gin par du prosecco.
Pour sa part, Nigella avait choisi d’en préparer tout un saladier, décoré de tranches d’orange et aussi festif pour les yeux que pour les papilles. Mini préparatifs, maxi effet: c’est un peu le secret du succès de la cheffe anglaise, et c’est pour moi une sorte de Graal en cuisine, même si je dois bien avouer que je ne l’ai encore jamais vraiment atteint.
Qu’à cela ne tienne: j’aime m’imaginer préparer moi aussi cette version dolce vita du traditionnel punch et laisser mes invités le savourer lors d’un réveillon sexy et décontracté. Sauf qu’évidemment, maintenant, j’aurais l’air de tenter désespérément de reproduire une tendance de la Gen-Z, ce qui annule le rendu effortless recherché. Quelqu’un aurait une autre recette de cocktail à me conseiller pour mon saladier du 31 décembre?
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