Lisette Lombé

Chronique | À quelques degrés de l’enfance…

Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.

C’est une drôle de marche que celle-là. Improvisée, impromptue, de grand matin, dans les rues de Lille. Hier soir, en trio, nous présentions en librairie un recueil collectif de poétesses. Nous parlions légitimité de la colère dans un monde tordu par les injustices, nous parlions puissance du langage poétique, parcours artistiques, solidarités, parole des femmes dans l’espace publique, clarté et ténèbres des cœurs.

Aujourd’hui, la métaphore de la lumière est remplacée par de vrais rayons de soleil. Je déambule presque yeux fermés tellement la sensation de chaleur sur mes joues est agréable. Un psychologue disait, à la radio, que nous sacralisions d’autant plus le retour du printemps que nous avions manqué de luminosité durant l’hiver et que le contexte socio-économique était morose. Besoin de ciel bleu en commun au-dessus de nos têtes. Besoin de sec dans la pluie de mauvaises nouvelles. Besoin de terrasses, de douceur, d’habits moins lourds, de silhouettes moins engoncées.

Je pourrais me perdre, je pourrais choisir la ligne droite, je pourrais chercher un lieu-dit, une boutique particulière. Je décide de fuir l’ombre, de maintenir coûte que coûte mon visage au soleil. Comme lorsque j’étais gamine et que je me lançais des paris dans la rue, du genre ne plus toucher les bords des pavés ou sauter par-dessus les lignes blanches des passages pour piétons. Ici, défi de la lumière. Rester dans la lumière. Refuser l’ombrage. Refuser le froid. Refuser le retour du tremblement, de la chair de poule. Refuser l’écharpe qui se remet raisonnablement, la veste qui se ferme au premier frisson. Refuser la peur de choper un rhume, les proverbes, la sagesse populaire. En avril, ne te découvre pas d’un fil.

Celui ou celle qui aurait connaissance de mon petit défi, et me suivrait, me verrait traverser subitement, tourner à droite ou à gauche sans logique apparente, revenir sur mes pas, faire le tour d’une place et emprunter le strict chemin inverse. On parle d’une heure de jeu de soi à soi, une heure de sourire intérieur, une heure de nouvelle logique, de facétie. Etat jubilatoire, enfantin, léger. On parle d’une heure de mise à distance des tracasseries, de ce qui dépasse l’entendement et la possibilité d’actions à court terme.

C’est une succession de trottoirs à l’ombre qui signera la fin de ma balade. Pas l’horaire, pas l’agenda, pas l’heure du train, pas les obligations familiales. Je repasse devant la librairie d’hier. Y entrer en cliente. Acheter trois livres de contemporaines. Autres écritures, autres souffles, autre génération. Les thèmes sont durs: le viol, les violences faites aux femmes, la mort. Retour au réel. Retour aux combats.

J’ouvre au hasard le recueil tant qu’il reste quelque chose à détruire, de la poétesse Mag Lévêque. Page 54, majuscules. J’AI TROUVé UN AMOUR INALTéRABLE. Page 59, autres majuscules. L’ESPOIR EST UNE BOMBE PLUS PUISSANTE QUE L’IMPACT. Page 63, encore des majuscules. COUPE LE NŒUD S’IL NE SE DéNOUE. Impression que je dois comprendre quelque chose dans la succession de ces majuscules, que le message est personnel, qu’on tape sur le clou d’une vérité que je n’ai pas encore assimilée. Je remarque que le titre, lui, ne comporte pas de majuscule. Les pages semblent se transformer en murs. Les vers deviennent comme de grands tags. Les messages s’imposent à la rétine. L’essentiel s’écrit parfois aussi en grand.

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