Nicolas Balmet

Chronique | La créatrice du logo Nike a été payée 35 dollars

Nicolas Balmet Journaliste

Dans cette chronique, rien n’est en toc. Chaque vérité, cocasse ou sidérante, est décortiquée par un journaliste fouineur et (très) tatillon qui voit la curiosité comme un précieux défaut.

Lorsque la marque Nike est créée au début des années 70, ses fondateurs n’ont pas les moyens de s’offrir les services d’une agence de communication. Ils décident donc de faire confiance à une étudiante en graphisme de l’université de Portland, Carolyn Davidson, à qui ils promettent un salaire de… 2 dollars de l’heure. En quête de lignes à ajouter sur son CV, la demoiselle accepte la mission, mais aussi les impératifs qui l’accompagnent : le logo doit faire référence à la déesse grecque de la victoire Niké (le premier qui fait un jeu de mots pourri a perdu) et, surtout, ne pas ressembler au logo d’Adidas, pressenti comme un robuste concurrent de la jeune entreprise. Traduction ? Les gars n’ont pas une tune, ils n’ont pas peur des procès pour traite d’êtres humaines, mais ils sont (très) ambitieux.

Carolyn Davidson mettra précisément 17 heures et 30 minutes pour élaborer le logo. Le résultat : une sorte de virgule inversée et horizontale qui, en réalité, représente l’aile de la déesse Niké, sœur de Kratos, de Bia et de Zélos, fille du titan Pallas et de Styx, pour ceux qui souhaitent crâner lors d’un dîner pitas. Le calcul est vite fait : la dévouée stagiaire a été rémunérée 35 dollars pour la création de ce qui allait devenir le logo le plus célèbre de la galaxie. L’un des fondateurs de Nike lâchera pourtant un avis ingrat : « Je ne suis pas fan de ce logo, mais je finirai bien par l’aimer un jour. » L’histoire ne dit pas à quel moment exact il a changé d’avis, mais on suppose que les millions de dollars engrangés par Nike ont dû jouer un rôle.

La suite de l’histoire ? Carolyn Davidson vivra dans la misère la plus totale, avant de mourir de solitude. Non, je plaisante, je voulais juste voir si vous suiviez toujours. Carolyn Davidson se porte comme un charme, elle a aujourd’hui 81 ans et elle coule des jours heureux dans sa maison de l’Oregon. Si elle va bien, c’est notamment parce que la société Nike a fini par la récompenser au début des années 80, en lui offrant une bague en or et en diamant à l’effigie du logo, mais surtout 500 actions Nike qui lui ont permis de mener une existence confortable. Son célèbre symbole, lui, est aujourd’hui l’un des seuls logos du monde à posséder son propre surnom : il s’appelle Swoosh et il a même sa page Wikipédia.

Et la première apparition du Swoosh ?, me demanderez-vous. Croyez-le ou non, j’allais justement vous en parler. En 1972, les fondateurs de Nike écument les stades où s’entraînent les athlètes américains des futurs jeux Olympiques de Munich, offrant des paires de chaussures aux coureurs les plus chevronnés. Leur Nike « Cortez », qui arbore le Swoosh, est taillée pour le running, avec sa semelle en gomme visant à réduire la fatigue des jambes et à soulager le tendon d’Achille. Bingo : lors des J.O., un jeune coureur remporte l’épreuve du 5 000 mètres avec des Cortez à ses pieds. Les premières foulées d’une gloire sans fin pour Nike qui, tout en séduisant les sportifs, comprend vite l’importance de s’adresser aussi aux gens qui les adulent. Des modèles sportswear sont ainsi imaginés dans différents coloris afin d’être portés sur les campus ou dans la rue… et chacun semble trouver chaussure à son pied (je m’étais promis de ne pas dégainer cette expression, mais je suis faible).

Si les Nike Cortez ne connaîtront jamais la crise, elles trouveront un représentant inattendu en l’an de grâce 1994. Son nom : Forrest Gump. Ses passions : le chocolat et… la course à pied. C’est avec les fameuses sneakers que le héros se lance dans son émouvante épopée de trois ans à travers les Etats-Unis, qui vaudra au film pas moins de six Oscars. Une publicité grandeur nature pour ce modèle qui, dès lors, devient définitivement un fleuron de la pop culture. Farrah Fawcett ou Elton John avaient précédé Tom Hanks, mais Kristen Stewart ou Emily Ratajkowski le suivront, affichant sans modération leur passion pour les indémodables Cortez. Quant à Forrest Gump, il fête aujourd’hui ses 30 ans et il va sans dire que Nike en a profité pour rééditer ses chaussures préférées. Personnellement, ma commande est passée, ça fait trois décennies que je rêve de faire un petit jogging de 24 000 kilomètres pendant qu’on me crie « Cours, Nico, cours ! »

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