Lisette Lombé
Chronique | Ça ne se réglera qu’ainsi: ensemble!
Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.
Je commence à rédiger cette chronique dans ma résidence d’écriture improvisée de ce mercredi ensoleillé: un train Bruxelles-Liège, après une répétition en matinée. J’adore les séances où l’on fait des bonds qualitatifs. On comprend, on dénoue, on expérimente, on cisèle, on passe en bouche jusqu’à sentir la justesse de la proposition. Ma marche vers la gare, plus volontaire et rapide que d’ordinaire, a traduit cette satisfaction. Sourire sur le visage. Allégresse.
C’est la fin du ramadan. Dans les rues, une effervescence palpable et des tenues de fête. L’image d’un jeune couple bras dessus bras dessous me marque. Deux anges. Vie grande ouverte devant eux. Sur les réseaux, toujours ce frottement entre paroles de joie et paroles de fiel. Au-delà des croyances et des rites, je ne vois pas comment ne pas nous souhaiter, à toutes et à tous, des temps d’ascèse et de réflexion sur nos actions.
Aujourd’hui, je n’ai plus le temps de m’attarder sur les propos haineux et diverses ulcérations. Je note néanmoins cette phrase: «Fini la tranquillité! Ils vont se ramener!». Petite piqûre de rappel du pourquoi j’ai imaginé ces «trottoirs philosophes». Rester caisse de résonance d’un rapport au monde et aux êtres, basé sur la curiosité et l’ouverture. Nous connecter, nous rassembler, nous relier. Et quand je dis «nous», je veux dire vous, lecteurs, lectrices et les passants et les passantes et la beauté et la rugosité de l’environnement et mes pulsations intérieures. Une manière parmi de nombreuses de résister à ce qui enlise et ce qui nécrose.
J’ai vu des corps fiers, des mains qui tremblent, des feuilles qui volètent.
Lisette Lombé
Evidemment, cette page n’est pas et ne sera jamais une tribune ou un pamphlet, mais elle peut être poème, hymne, refuge, miroir, tamis, oasis, respiration, alambique, rendez-vous calme ou shaker ou maracas. D’où je viens, s’autoriser à écrire sur la joie, c’est fameux. Vous ne pouvez même pas vous imaginer! Pour certaines personnes, il n’y a pas assez d’une vie pour apprendre à savourer le présent, en l’absence de culpabilité.
Hier, avec des amies poétesses, nous avons évoqué cette nécessité de parler aussi de gaité dans nos textes de slam. Donner envie de grandir, de vivre, de s’émanciper, de construire des savoirs complexes, d’aimer. Nous avons assisté à une restitution d’atelier, suivie d’un micro ouvert. J’ai écouté des jeunes femmes scander des vers emplis de rage et d’espoirs, d’éros et de soif de changements, de revendications et de sororité. J’ai vu des corps fiers, des mains qui tremblent, des feuilles qui volètent. J’ai vu la force et l’audace qu’un groupe bienveillant peut offrir à des individus. Deux élèves, 17 ans, m’ont fait ce compliment: «Madame, vous êtes notre Beyoncé!» Avec mes amies, nous avons ri. Nous, les mères de famille, les travailleuses sur le fil, les quadragénaires qui, désormais, causent petits soucis de santé à chaque rencontre.
Et puis, j’ai aussi vu cette femme, première scène, première fois, venue lire un court poème de vaine plus classique, se demandant si elle avait sa place parmi les prises de parole plus frontales. Cette femme qui a dû comprendre qu’il y a de la place pour tout le monde dans les endroits respectueux des différences. Comprendre que c’est l’ensemble des voix qui donne cette si douce impression que notre présence, que notre métier, que notre existence ont du sens.
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