Lisette Lombé

Chronique | Comment cesser de se hâter de ne plus se hâter ?

Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, 
de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.

Aéroport de Zaventem. Je me fais penser à un businessman qui participerait à une réunion importante en Suisse et qui ferait un aller-retour dans la même journée. J’avoue qu’après plusieurs très courtes nuits, je pense moins à l’explosion du score de mon empreinte carbone qu’à mon confort. La fatigue l’emporte sur la sensation de ne pas être alignée avec les principes d’écologie auxquels j’adhère. Le mois de mars est traditionnellement le plus chargé de l’année pour les poétesses francophones engagées. On le sait. On respire dans les interstices et on accepte la modification des traits du visage sur les photos.

A 4h53, une amie éditrice, qui participe à la même foire du livre, m’envoie un message d’avant aube pour me souhaiter une bonne route. Délicate attention. La savoir éveillée et en chemin, elle aussi, me donne de l’énergie. Le hasard fait que nos vols se suivent. Nous pourrons papoter un peu avant de rejoindre nos portes d’embarquement. Causer de nos petits méhins, de l’actualité internationale, des mobilisations pour le 8 mars, de la chance d’avoir des papiers d’identité qui nous permettent de voyager sans plus nous poser la question de cette liberté de circulation.

Ce matin est un matin de flashs. Tandis que je marche dans le hall d’entrée du terminal A, les images du présent et du passé commencent à se frotter. L’étrange position d’un homme, assis à même le sol, me fait repenser aux attentats de 2016. Un vendeur qui époussette une rangée d’énormes valises, avec un petit plumeau coloré, me rappelle les départs de mon père pour Kinshasa lorsque j’étais enfant. Le port de tête élégant d’une employée me fait me souvenir que ma sœur se rêva un temps hôtesse de l’air.

Un peu avant 10 heures, au cœur de l’aéroport de Genève, dans un long couloir menant vers la sortie, je suis comme hypnotisée par une installation artistique inspirée d’une fable de Jean de la Fontaine, avec un lièvre qui défie une tortue à la course. On connaît la fin, on connaît la morale de l’histoire. On s’enjoint souvent de ne plus courir, de prendre le temps, mais on utilise des tapis roulants qui accélèrent notre marche, tout en regardant des œuvres d’art qui nous invitent à la lenteur.

Les contradictions intérieures et le contraste avec les multiples affiches de montres de luxe faisant face aux animaux me font sourire. Ne plus vouloir une vie réglée comme un métronome ne suffit pas pour échapper à cette danse d’adultes chargés comme des mules. Ce n’est jamais juste une question de volonté personnelle. Si on doit parler d’organisation précautionneuse pour les organismes vivants, on ne peut pas faire l’impasse sur les décisions collectives et les choix de société. Tenir les promesses de soin que l’on se fait à soi-même dans un contexte d’urgences est une gageure.

A la foire, je déambule dans les allées, échange avec des éditeurs et éditrices, assiste à des rencontres, en attendant le moment de mon intervention. Je repartirai en Belgique avec des bribes de phrases. Mots d’autrice. Nous sommes des vampires. Nous aspirons le réel pour en faire des livres. Mots d’une petite fille. Je ne savais pas que le belge, c’était du français. Mots de sa copine de classe. Moi, j’adore la poésie ! Mots d’une autre enfant, à sa grand-mère. Une pure merveille, ce hot-dog !

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