Lisette Lombé

Chronique | Dans le sac du facteur, un peu de nous…

Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.

Par la fenêtre, la mer, le bleu du ciel après des jours de pluie, la plage comme coupée en deux, ombre et lumière. La vue de l’eau me suffit, sa présence, la beauté et la menace des vagues. A l’abri du froid, j’observe un cerf-volant aux couleurs arc-en-ciel. Cabrioles dans le vent. L’homme dessous maîtrise son sujet, s’amuse et se concentre, plie les genoux, mouline des bras pour faire twister l’engin. Je me laisse bercer par l’image. Miroir de ce qui me ramène dans cet hôtel d’Ostende chaque hiver depuis le confinement. Vitalité de l’écriture à protéger des contingences du quotidien, légèreté du corps à retrouver. Ne pas repartir sur les routes sans avoir tiré les leçons de quatre saisons de vertige.

Hier, une amie a posté sur ses réseaux sociaux un moment précieux pour elle: l’envoi de cartes de vœux. Même team! Dans un message vocal, elle m’expliquera que, cette année, elle a choisi de privilégier les envois personnels aux envois professionnels et qu’elle a soigneusement sélectionné les mots qui composent le sapin dessiné sur le recto de la carte. Personnaliser. Refuser le copier-coller. Souligner la singularité des êtres. Mon nom figure dans sa liste d’expédition. Je suis touchée. Le vocal permet des mots que le vive voix n’autoriserait pas. C’est rare de s’entendre dire qu’on a été un soutien important pour quelqu’un. 

Le pouvoir des mots

L’un des camarades artistes que j’évoquais dans ma précédente chronique, à qui j’avais envoyé des forces pour 2025, m’a répondu ceci: «Merci pour ta carte, Lisette. J’adore le sticker qui nous ressemble parfaitement bien. Et merci pour tes mots parfumés qui réchauffent le cœur! Ça faisait tellement longtemps que je n’avais pas reçu de lettre manuscrite! Ça fait trop plaisir!!!» L’encre, dans un monde numérique, redevient une substance magique. Les points d’exclamations ne mentent pas.

Petit flash. Je revois ma grand-mère maternelle s’atteler à l’envoi de ses cartes de vœux lorsque j’étais enfant. Je revois la nappe fleurie, ses mains, sa bague, son application, son écriture impeccable mais il n’y a pas de visage dans mon souvenir. Je ne sais pas si ma grand-mère prenait un certain plaisir à la tâche ou si elle vivait cela comme une obligation à laquelle on ne peut échapper. Peut-être pestait-elle intérieurement contre les traditions qui s’imposent à nous comme des corvées. Peut-être savourait-elle la douceur des rituels, des gestes simples transmis de génération en génération.

L’encre, dans un monde numérique, redevient une substance magique

En tous cas, à hauteur d’enfant, c’était un étrange ballet de civilités à contempler. Je retrouvais la carte postée par ma grand-mère sur la table du salon de mes parents et la réponse de ceux-ci trônait sur la cheminée de ma grand-mère pendant plusieurs semaines. Je me demandais pourquoi les adultes s’écrivaient de la sorte alors qu’ils venaient de se souhaiter Bonne année et bonne santé au réveillon. 

Je m’aperçois que cette deuxième chronique de 2025 ressemble à une prière pour que les boîtes aux lettres publiques ne disparaissent pas comme les cabines téléphoniques. Cette chronique est aussi une invitation à choisir une personne importante à vos yeux et à lui poster une lettre. Cela impliquera peut-être, comme cela m’est arrivé, de devoir redemander à cette personne son adresse exacte. Le secret de l’envoi sera éventé mais le jour du sourire, lui, restera une surprise.

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