Lisette Lombé

Chronique | Demain peut attendre encore un peu…

Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.

J’observe les corps qui s’emmitouflent de plus en plus au fil des semaines pour affronter le froid. J’écoute les conversations qui se ouatent d’envies de cocooning, d’hibernation, de chocolats chauds, de fuite de la grisaille. Blues saisonnier. Dans les trains, dans les rues, dans les files des supermarchés, je croise des organismes éreintés, manquant de lumière, de repos, de loisirs, de vacances ou d’argent, des organismes attaqués par le stress, les carences ou, à l’inverse, abîmés par les excès. La guerre aussi est un sujet récurrent. Elle n’est plus seulement un problème lointain, elle est là, elle s’invite à nos portes. Une amie poétesse évoquait la fin du monde. Je parlais de fin de civilisation, de bascule, de gouvernants qui entraînent leurs peuples dans leur folie. Je n’échappe pas à ce climat anxiogène. Je ne peux pas ne pas en rendre compte dans mes chroniques mais j’essaye de contrebalancer la peur par une forme d’espérance. 

Chaque semaine, sur mon chemin, des étincelles de vie, des raisons de ne pas baisser les bras, de ne pas capituler. Image de cette femme sans-abri en atelier. Une poétesse en puissance. Ecriture très imagée, sensible. Cette femme avait participé à la première séance de loin, timidement, et la voilà à notre table, aux premières loges, avec un texte qui se déploie, une parole qui se libère, une histoire qui se raconte avec justesse, un corps qui s’affirme. La voilà demandant la prochaine date d’atelier, grand sourire sur le visage. Sa joie me gagne. Petite mission du mardi accomplie. 

Chaque semaine, sur mon chemin, des étincelles de vie, des raisons de ne pas baisser les bras.

Lisette Lombé

Avec l’expérience, j’ai acquis de la souplesse méthodologique dans mes animations et j’ai appris à faire totalement confiance aux groupes que j’accompagne. Je sais que la magie finit toujours par opérer malgré les insécurités linguistiques, malgré les possibles tensions entre personnalités en présence, malgré les couacs organisationnels. Une détente individuelle et collective va s’installer graduellement au fil des exercices. Un calme singulier va finir par emplir les locaux. La semaine dernière, dans une association, un animateur est même venu s’assurer que tout allait bien tellement le silence était inhabituel pour le lieu. Qu’a-t-il bien pu voir, cet animateur? Des personnes qui avaient oublié durant quelques minutes leurs problèmes de logement, de chauffage, d’électricité ou leurs pépins de santé. Moi aussi, je suis à chaque fois touchée par cette atmosphère détendue. J’ai la sensation de bien faire mon travail. Je me sens utile.

J’écris cette chronique durant une tournée en Suisse. Equilibre idéal entre ateliers et spectacles. Hier, j’ai rencontré un groupe d’élèves, volontaires, âgés de 15 à 18 ans. Un temps de midi pour s’initier au slam. Tentez l’exercice chez vous. Décrivez en quelques lignes un moment de votre vie particulièrement heureux. Ce moment où l’on se sent exister, en connexion avec l’infiniment petit et l’infiniment grand. Ecrivez au présent, en «je». Ensuite, ajoutez successivement des éléments de la nature, des bruits, des odeurs, une date, des répétitions, des synonymes d’un mot important et enfin, une question existentielle. Vous avez tiré votre texte vers l’oralité, vous lui avez donné de la chair et du souffle. Vous pouvez vous lever et partager un tout petit bout de vous. Baume au cœur assuré pour l’assemblée.

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