Lisette Lombé

Chronique | D’hôtel en hôtel, rester habitée

Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, 
de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.

Rennes. Hier, le feu, la scène, la standing ovation, les rencontres inspirantes, la vision très claire de pourquoi nous exerçons ce métier. Ce matin, dès les premières heures du jour, l’électricité de la veille encore dans les jambes, le besoin de marcher. Ville endormie, corps alcoolisés entre chien et loup, long vocal à une amie, échos de nos parcours de vie, puis retour à l’hôtel et griffonnage du début de cette chronique sur les feuillets offerts avec le crayon ordinaire et la bouteille d’eau plate. Par la fenêtre de plain-pied, une rangée d’arbres imposants dont les branches atteignent le troisième étage. Je fixe les troncs, les écorces, les branchages. Frémissements du paysage. Leurre d’immobilité pour qui ne prendrait pas le temps de l’observation fine. Cimes tremblantes, consolidation des nids brindilles après brindilles.

Je repense à cet enseignant, qui a proposé à ses élèves d’écrire un poème à partir d’une photo du parc jouxtant leur établissement scolaire, un jour où la neige m’avait empêchée d’être présente pour l’animation. Cet enseignant avait joué le jeu et écrit, lui aussi, un texte. J’ai beaucoup aimé sa comparaison avec une araignée pour décrire la nudité hypnotique des arbres au cœur de l’hiver. La veille, j’avais lu un recueil de la poétesse québécoise Anna Babi, intitulé Vivarium, dans lequel le mot araignée était revenu à plusieurs reprises. Quelques jours plus tard, sur les réseaux, une connaissance avait posté une demande d’aide pour un enfant de son entourage qui devait amener en classe une araignée. En commentaires, des questions sur la pertinence de cette demande, sur le respect de la vie animale, sur la possibilité de contester une consigne. Autour de moi, multiplication du motif de l’araignée, en un court laps de temps. Synchronicité. Capacité à relier les événements. Et vous, vous souvenez-vous d’un enchaînement troublant d’éléments qui vous a fait vous dire que cela ne pouvait pas simplement relever du hasard ?

Je chéris l’absence de frontière entre la vie et la scène.

Je poursuis cette chronique dans le train retour vers la Belgique et retombe sur les notes prises en début de semaine à Ostende, en résidence d’écriture. Autre hôtel. Liste des humanités rencontrées. Un homme, la soixantaine fringante, drague de bon aloi. Mes premiers mots en néerlandais du séjour, pour le recadrer poliment. Des sœurs jumelles aux yeux presque turquoise. L’été s’invite dans leurs regards. Une femme qui éternue sur les baguettes du supermarché en s’en foutant complètement. Je n’avais jamais été témoin d’une désinvolture de cette sorte. Un joggeur qui porte un sweat du club de basket de Natoye, grand rival de notre championnat en équipes de jeunes. Vision d’entraînements aux côtés de ma sœur, pensée pour une ancienne coéquipière terrassée par un cancer. Une jeune fille marche dans l’eau avec des chaussures de ville. Je pense pieds trempés, rhume, cuir bousillé. Je longe l’eau, avec prudence. Pas équipée, partie sur un coup de tête, baskets de mon spectacle aux pieds. Je chéris l’absence de frontière entre la vie et la scène. Déjà au cabaret, je n’achetais aucun costume mais détournais des habits de tous les jours.

Plus loin, une autre jeune fille, malvoyante, au bras de sa mère. Vent contraire et confiance absolue. Qui pour nous guider ainsi dans la bonne direction ? Qui ?

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