Chronique: Il y a pile nonante ans, la Loterie nationale naissait sous le nom de Loterie… coloniale
Dans cette chronique, rien n’est en toc. Chaque vérité, cocasse ou sidérante, est décortiquée par un journaliste fouineur et (très) tatillon qui voit la curiosité comme un précieux défaut.
J’imagine que certains d’entre vous étaient au courant. Mais personnellement, je suis tombé de ma chaise (pas de panique, je vais bien, j’ai appris à maîtriser les chutes non létales en faisant du judo à l’école primaire) en apprenant que, lors de sa création en mai 1934, notre vénérable Loterie nationale portait le nom de Loterie coloniale. Et je suis re-tombé de ma chaise (vraiment, ne vous inquiétez pas, je suis plus robuste que j’en ai l’air) en découvrant que cette appellation avait perduré près de trente ans.
Aussi, mes recherches m’ont plongé dans le tumulte de Wall Street, ses traders, sa cocaïne et son… krach boursier survenu le 24 octobre 1929. La plus grande crise économique de l’histoire. Et des secousses qui se firent ressentir jusqu’en Belgique. On est alors à une époque où tout le monde trouve cela parfaitement normal d’annexer un pays africain situé à plus de 6.000 kilomètres d’ici – même le plus vil des dictateurs russes ne se donnerait pas autant de peine. Bardaf : la crise touche indirectement notre trophée nommé Congo, dont il faut pourtant continuer à financer le développement. C’est là que survient la formidable idée de créer une loterie coloniale. Le premier tirage a lieu le 18 octobre 1934, au Cirque Royal de Bruxelles, avec un orchestre, six tambours contenant les numéros, et des spectateurs déchaînés qui ont payé leur précieux ticket 100 francs belges.
Cent francs belges ? A l’époque, cela équivaut à 10 % du salaire mensuel d’un ouvrier. Beaucoup trop rédhibitoire que pour attirer les foules. Dès le deuxième tirage, le prix du ticket est donc divisé de moitié, et le concept s’envole. Les Belges en raffolent sans honte, puisque même en cas de défaite, ils savent que leur argent s’en va à des bonnes causes. Durant la Seconde Guerre mondiale, ce sont les défavorisés du plat pays qui récoltent les fruits de la loterie, tandis qu’en 1953, un tirage spécial est organisé au profit des victimes du raz-de-marée qui fait plus de 2.500 morts sur les côtes belgo-hollandaises.
Bien sûr, je pourrais vous demander d’attraper une feuille de papier, un Bic et d’écrire « Un Etat qui rend ses citoyens accros au jeu en invoquant les causes humanitaires, est-ce bien raisonnable ? », puis de vous laisser 30 minutes pour répondre. Mais je vous épargne votre temps en répondant moi-même : peu importe. Ce qui est fait est fait. Et en réalité, les loteries ont toujours eu cette fonction « d’utilité publique ». Ici, elles ont servi à bâtir des églises. Là-bas, à rénover des monuments. Et dans la Rome antique, déjà, on organisait des tirages dont les gagnants pouvaient repartir avec des lots chargés de faciliter, voire d’égayer leur quotidien : des chevaux ou des esclaves.
Mais revenons à notre Royaume. Et à la naissance de la Loterie… nationale en l’an 1960, lorsque le Congo prend son indépendance. C’est alors le ministère des Finances qui s’en empare et qui légifère sur la distribution des gains, alors que le Lotto fait son apparition en 1978 et que des tas de petits jeux à gratter agrandissent la famille au fil des ans. Qui récolte combien ? Je vous livre ici deux chiffres qui me semblent essentiels à la bonne continuité de votre vie : 57 % des bénéfices sont payés aux joueurs, et 24 % sont reversés à la société sous forme de subsides (recherche scientifique, lutte contre la pauvreté, environnement, culture, sport, etc.), le reste étant réparti entre les points de vente… et le fonctionnement de la Loterie nationale elle-même – il faut bien payer l’entretien de la chaudière, hein, mon bon monsieur.
Mes investigations m’ont également mené vers un constat implacable : chaque Belge connaît au moins une personne qui a un jour crié « J’ai gagné au Lotto ! » après avoir remporté 1,25 euro. Et bien entendu, l’intégralité de ces mêmes Belges ont déjà eu une discussion, lors d’un dîner, pour savoir ce qu’ils feraient s’ils touchaient le gros lot. Des petits rêvés éveillés qui ont été décuplés depuis l’arrivée, il y a tout juste vingt ans, d’une autre loterie à succès baptisée EuroMillions. Qui, l’air de rien, en deux décennies, a déjà permis à 35 Belges de décrocher le jackpot – à l’échelle de notre petit pays, on peut presque parler d’une colonie.
Retrouvez toutes les chroniques de Nicolas Balmet ici
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici