Lisette Lombé
Chronique | “Ne sommes-nous pas, nous les adultes, succession de petits mensonges à nous-mêmes pour garder la tête hors de l’eau?”
Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.
5h30. Retrouvailles avec les marches de l’aube. Tout était frein en hiver: le mauvais temps, le manque de luminosité, la fatigue. Corps en miroir des saisons, remontée très lente de la sève, appel encore timoré du dehors. Ce matin, au compteur de mon podomètre, déjà 7.500 pas. L’objectif santé de la journée sera aisément atteint. Dans quelques semaines, ce qui s’apparente encore aujourd’hui à une contrainte sera redevenu un joyeux rituel. Le plaisir aura remplacé la nécessité, je le sais. L’odeur de glycine sur la façade et le chant des oiseaux me motivent dès les premiers pas. La beauté de la nature est une amie du courage.
Reconnexion. Liège et ses cours d’eau et sa force de travail et son visage calme au réveil. Avant, je tombais amoureuse des villes durant la nuit. Aujourd’hui, c’est à l’heure où j’allais me coucher que j’écoute battre les cœurs urbains. En marchant, je me sens appartenir à un peuple singulier. Peuple qui transpire en dehors des obligations. Peuple des salles, peuple des halages et peuple des stades. Peuple qui redescend dans les jambes et qui remonte dans les ventres, peuple qui s’affermit et qui se soigne, qui se décharge et s’électrise, qui s’assouplit et se salit.
Sur le chemin, des flashs. Repenser aux sorties furieuses de Marseille, il y a plusieurs étés. Question de survie. Marcher pour ne pas étouffer, pour ne pas s’effondrer, pour ne pas cogiter sur le désastre du couple. Automate sous le soleil. S’assommer, se vider. Des amies arpentent actuellement ces chemins de guérison par l’accumulation de kilomètres. Clarté, nœuds qui se délient, respiration désentravée, mue.
Ce mot mue. La semaine dernière, des élèves de quatrième secondaire d’un établissement scolaire de Louvain-la-Neuve m’ont demandé ce que signifiait le dernier vers de l’un de mes poèmes nationaux, ayant pour thème la période de confinement et les bonnes résolutions nées de ce chaos. Promesses, promesses. Nous nous promettons mais savons-nous seulement ce qu’est une mue? Je remercie ces élèves de m’avoir fait replonger dans ce texte. J’y retrouve des bribes d’espérance, du soutien au personnel soignant, des questionnements restés sans réponse. A quoi les puissants de ce monde ont-ils bien pu occuper leur temps pendant cette période? Changeons-nous vraiment en profondeur? Ne sommes-nous pas, nous les adultes, succession de petits mensonges à nous-mêmes pour garder la tête hors de l’eau?
6h45. Au retour, je me lance immédiatement dans la rédaction de cette chronique. Profiter des bienfaits des endorphines sur la créativité. Les étirements, les lainages à mettre sécher, le sac de piscine à préparer et les papiers à vérifier pour le voyage de rhéto attendront que les mots jaillissent. D’abord déployer les motifs poétiques, puis déplier le corps, puis cocher les cases de la to-do list du jour. En habits de sport à ma table d’écriture, j’anticipe l’étonnement de mes enfants à leur réveil lorsque je leur dirai que j’ai déjà plus d’une heure de sport dans les jambes. J’aime tenter d’épater ma progéniture, arracher un sourire aux ados grâce à des comportements inattendus. Comme un entrebâillement de porte sur l’âge adulte pour leur montrer que tout peut rester léger. Le plus souvent, mon effet tombe à l’eau mais je me fais rire en anticipant l’effet de certaines phrases. Autodérision, autodérision.
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