Lisette Lombé
Chronique | Quelle couleur, la tapisserie dans votre chambre d’ado?
Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.
Depuis le mois de septembre, j’ai parcouru des milliers de kilomètres. J’ai impulsé l’écriture de toutes les dernières chroniques dans des trains et j’ai commencé à reprendre à mon compte l’expression «être dans un tunnel». Nous sommes en novembre et je me demande à partir de combien de jours on doit passer de l’image d’un tunnel à celle d’un labyrinthe. Vigilance accrue au cœur de la grisaille. Je ne dois ma résistance à la fatigue qu’aux siestes, aux rencontres inspirantes et aux missions de sens. C’est vrai que ça aide d’agir pour plus vaste que soi, ça aide de tirer de la force de chaque grain de la beauté environnante, ça aide de pouvoir jouir malgré un climat sociétal anxiogène et ça aide, les vacances en famille.
Mes enfants ont 18, 17 et 12 ans. Les aînés s’égayent en dehors du nid et c’est tout ce que l’on souhaite à des jeunes bien dans leurs baskets. On ne se verra pas plus qu’en période scolaire. Avec la cadette, par contre, les vacances sont synonymes de moments privilégiés mère-fille. Activités qui nous rassemblent et qui nous ressemblent. Etre à l’écoute de ses enfants, c’est être à l’écoute du monde. Quand je regarde par leurs fenêtres, je me sens un peu moins dépassée par l’évolution des cœurs et des valeurs. Quand j’accepte leur défiance, leur pessimisme, leur cynisme, j’ai moins peur pour leur vulnérabilité. Je dois lâcher, faire confiance. Autre époque, autres attaques et défenses de l’estime de soi.
Comme un Noël avant Noël. Mon frère nous a rejointes, ma sœur, moi et nos enfants, pour quelques jours chez nos parents. Trois générations sous un même toit. Comme un miracle que la maladie ne soit pas venue rebattre les cartes des vivants cette année. Comme une chance de pouvoir remonter le passé à la table du petit-déjeuner. J’écoute mes parents évoquer leur mariage. La cérémonie chiche, le bus et l’unique poulet pour les convives. Ma fille dit que ce qui aurait dû être le plus beau jour de leur vie a été un jour de totale loose. Vocabulaire d’adolescente, cash, sans filtre, de la rive d’une génération qui place l’amour au cœur des choix. Je mange entre deux mondes, entre racines fatiguées et feuillage effronté, entre héritage et conte de fées, entre pincement au cœur et gratitude. J’entends le travail insécurisant, la débrouille, les sacrifices, l’étiolement du couple mais la baraque qui tient, coûte que coûte. Pour le meilleur et pour le pire. Ça grince, ça frotte, ça pardonne sans en avoir l’air. Nous rions beaucoup.
Je pense à ce film, L’Amour Ouf, que ma fille a voulu aller voir au cinéma et qu’elle a adoré. Je pense au stéréotype du bad boy qui se reproduit à l’infini. Je pense à mon prochain poème, plus intime. Les trottoirs arpentés y changent de texture, sont intérieurs. Les pavés se descellent et laissent entrevoir la poussière de Kinshasa, les herbes de Jambes. Plonger, ramener de l’universel, de l’ancestral, de l’intime et non de l’intimité.
Cette bulle me fait du bien. Ce repos me fait du bien. Me sentir fille, sœur, mère me fait du bien. Dormir dans ma chambre d’ado me fait du bien. Simplicité. Loin de la lumière publique. Parenthèse de sincérité dans l’infertile verbiage des puissants.
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