Isabelle Willot

Édito : Bienvenue au club

Que savons-nous vraiment des membres du club ultrafermé des 1 % ? Il y a d’un côté des chiffres qui donnent le tournis : le gang des milliardaires les plus riches du monde aurait accaparé près des deux tiers de l’ensemble des nouvelles richesses créées depuis 2020. Soit 42.000 milliards de dollars… Et de l’autre, l’idée insidieuse distillée depuis plus de cinquante ans par les séries à succès : trop d’argent vous rendrait névrosé.

De Bobby Ewing dans Dallas à Roman Roy, héros de la saga Succession, la clique des nantis continue d’ignorer le prix d’une brique de lait. Mais vivrait de ce fait dans la misère affective la plus profonde. On peut s’interroger sur ce qui pousse les patrons blindés des plates-formes de streaming à entretenir ainsi le mythe que « l’argent ne fait pas le bonheur ». Car pour les jeunes de la Gen Z en tout cas, ce storytelling ne fait plus trop recette.

Selon l’enquête réalisée en 2023 par Yomoni, une société de gestion d’épargne en ligne, 66 % d’entre eux déclarent cette maxime « totalement fausse » là où 68 % des boomers (nés entre 1946 et 1964) et 61 % de la Gen X (née entre 1965 et 1979) y adhèrent inconditionnellement.

S’enrichir vite – et si possible sans trop d’effort – est un objectif assumé pour un nombre grandissant de zoomers, sans doute parce qu’ils appartiennent à la première génération qui, en Occident, risque d’avoir un niveau de vie inférieur à celui de leurs parents. Comme en témoignent les intervenants de notre enquête, « ils ne croient plus en la méritocratie, car elle ne fonctionne pas. Ils en ont la preuve chaque jour avec leurs parents, qui sont remplacés par des machines et ont très peu de perspectives d’emploi ». L’école comme l’université, accusées de perpétuer des mécanismes de reproduction sociale, ne sont plus vues comme des tremplins vers la réussite.

A ceux qui rêvent de percer vite, de faire le buzz façon Bernard Tapie – que Netflix vient d’ailleurs de remettre sous les radars de la fame –, une multitude de « finfluenceurs » dispensent désormais des conseils douteux sur les réseaux, encourageant la prise de risque à outrance chez ceux qui pensent n’avoir rien à perdre… puisqu’ils ne possèdent rien et n’hériteront sans doute pas non plus de leurs parents de quoi les mettre à l’abri un moment. 

Une inégalité dont s’indignent quelques très rares membres du club des 1 %. Marlene Engelhorn, l’une des héritières du groupe chimique BASF, vient de redistribuer  25 millions d’euros perçus au décès de sa grand-mère. « Notre réussite ne devrait pas être conditionnée par notre naissance, n’est-ce pas ? s’indigne-t-elle dans l’interview exclusive qu’elle nous a accordée. Je n’aurais pas dû naître dans une famille ultrariche, tout comme personne ne devrait grandir dans une famille pauvre. » Pas question pour la trentenaire de créer avec cet argent une fondation qui porterait son nom et dont elle s’attribuerait le mérite. « Le monde actuel est le résultat des décisions prises par les riches, et il faut l’admettre, c’est un massacre », dénonce-t-elle.

Un comité de 50 citoyens sélectionnés au hasard sera chargé de déterminer l’utilisation de ses fonds. Des gens issus du club des 99 %. Qui connaissent tous le prix d’une brique de lait.

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