Fanny Bouvry

Edito : « Derrière chaque intérieur se cache la patte des hommes et des femmes qui l’ont façonné»

Fanny Bouvry Journaliste

Peut-être pratiquez-vous aussi ce jeu amusant qui est le nôtre. Vous balader le soir dans les rues d’une ville et regarder chaque baie des grands immeubles d’habitations comme autant de petites télévisions où se déroulent des scènes singulières. Lumière tamisée et voiles pudiquement tirés, néons froids et rideaux grands ouverts ou pénombre et télévision en action. A moins que la pièce ne soit bondée, témoin d’une fête bien arrosée, ou qu’un gamin regarde par-delà la fenêtre, au loin, perdu dans ses pensées. Autant de cases de béton et de métal, bien souvent identiques, rendues uniques par ceux qui y vivent, et y rêvent.

En passant devant ce mastodonte qu’est la tour Brusilia, du côté du parc Josaphat à Schaerbeek, nous nous sommes ainsi bien souvent demandé ce qui se tramait dans ces plus de deux cents appartements s’empilant jusqu’au ciel et faisant de l’ombre aux belles maisons de maître de la commune. L’ouvrage de Jacques Cuisinier, témoin d’une époque où l’on faisait encore rimer modernité avec gestes grandiloquents et tabula rasa, fête son demi-siècle cette année. Et nous n’avons dès lors pas pu résister à pénétrer enfin cette forteresse. De rencontre en rencontre, nous avons perçu l’atmosphère qui y régnait, les histoires qui s’y entremêlaient, le caractère – voire le charme – certain qui s’en dégageait. Nous avons ainsi humé le Genius Loci – l’esprit du lieu –, comme l’architecte et théoricien norvégien Christian Norberg-Schulz qualifie ce lien qui existe entre l’architecture, le site et ce qui s’y passe. Et nous avons été séduits. 

Loin de nous cependant l’idée de disserter sur la nécessité de verticaliser nos centres urbains pour résoudre la crise du logement et l’étalement du bâti dans nos campagnes. Nous aurions besoin de bien plus d’un édito de 3.000 caractères pour nuancer nos propos. Entre ceux qui défendent le patrimoine ancien et déplorent qu’il se désagrège, ceux qui voient dans les grands ensembles modernistes un trait de génie à ne surtout pas gommer, ceux qui verdurisent les gratte-ciel pour se donner bonne conscience, ceux qui imaginent des transports en hauteur pour poursuivre la voie futuriste, ou crient à l’infamie et revendiquent sans nuances le « c’était mieux avant »… L’urbanisme du troisième millénaire se cherche encore une voie.

Notre objectif ici est plutôt de rappeler que l’architecture est bien plus qu’un empilement de briques inerte à l’esthétique discutable. D’abord parce qu’elle est l’écrin de nos tranches de vie. Mais aussi parce que derrière chaque intérieur, chaque geste constructif ou créatif, chaque détail, se cache la patte des hommes et des femmes qui l’ont imaginé et façonné. Autant de talents en coulisses qu’on oublie bien souvent quand on entre dans un bâtiment et qui pourtant sculptent les décors de nos existences. Des concepteurs, mais également des artisans minutieux auxquels nous avons décidé de rendre hommage dans ce numéro. Autant de métiers de l’ombre et de compétences locales qui méritent, dans notre monde à 100 à l’heure, d’être d’urgence revalorisés.

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