Anne-Françoise Moyson

Edito | Génération (dés)enchantée ?

C’est un monde de désenchantements. Et de désenchantées. Il faut lire les témoignages recueillis par l’équipe du magazine 1 Granary, dans son ouvrage This is not about you(th). Celui de cette creative consultant qui raconte, sous le sceau de l’anonymat – il n’aurait pas été possible de parler à visage découvert –, qu’elle était enceinte de 5 mois et travaillait pour une maison de luxe à Paris. Elle se souvient qu’elle bossait « comme une folle » pour terminer la collection, à deux jours du défilé. Que personne ne s’était rendu compte de rien, ou alors que tous avaient fait semblant… Mais il avait bien fallu se rendre à l’évidence quand les contractions se sont faites plus violentes encore, elle était en danger, et son bébé aussi. Pourtant, même alors, elle n’avait qu’une seule idée en tête :  terminer cette collection, impérativement. Il aura fallu que son partenaire débarque d’urgence de Londres pour la convaincre de prendre congé. « Avec le recul, je me rends compte que j’aurais dû dire quelque chose, que j’aurais dû demander de l’aide… C’est la première fois que j’ai pris conscience que ce n’était pas normal. » 

La suite est du même acabit, le constat est sans appel, la maternité est un tabou, les mères ne sont pas franchement les bienvenues dans ce milieu, l’égalité des genres ne semble pas y être la règle. « Avoir un bébé dans la mode, c’est dingue, confesse-t-elle. J’ai repris le travail au bout de trois mois. J’étais convaincue que je pouvais tout faire. Et bien sûr, j’ai trouvé cela très difficile. J’avais l’impression d’être mauvaise si je n’arrivais pas à suivre. Et travailler à temps partiel était perçu comme une faiblesse. Et puis, on met de côté tous les soucis et les défis très réels de la maternité (…) Vous ne pouvez pas dire : « Je dois partir à 7 heures, je dois mettre ma fille au lit. » Beaucoup de femmes avec lesquelles j’ai travaillé n’avaient tout simplement pas le temps de s’occuper de leurs enfants. Ou même de rencontrer un partenaire. » Le sexisme ordinaire a de beaux jours devant lui. A tous les niveaux de cette industrie, à toutes les étapes de cette chaîne mondiale, depuis les travailleuses des ateliers de confection aux droits sociaux bafoués aux quelques directrices artistiques et aux rares CEO confrontées au plafond de verre. 

Et pourtant, il existe des enchantements qu’il est vital de chérir, pour les faire grandir – le principe de la tache d’huile. Alors quand Marie Adam-Leenaerdt à 27 ans se jette dans le grand bain de la mode avec sa toute jeune marque à son nom, on sait qu’il est des raisons de se réjouir. D’autant qu’elle défile à Paris et porte haut les couleurs d’une certaine mode belge, avec cette assurance propre à la jeunesse. Et quand, vantant le travail d’équipe, Matthieu Blazy, directeur artistique de Bottega Veneta, confie humblement que son travail aujourd’hui est le résultat de ce qu’il a appris et de tout ce qu’il n’a pas encore appris, que « la mode est toujours une étrange combinaison entre l’intention initiale et ce qu’elle devient une fois qu’elle est nourrie, quand cela passe par les mains de quelqu’un d’autre que les vôtres », on se prend à espérer. 

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