Nicolas Balmet

Le premier ouvre-boîtes a été breveté près de 50 ans après l’invention de la boîte de conserve

Nicolas Balmet Journaliste

Dans cette chronique, rien n’est en toc. Chaque vérité, cocasse ou sidérante, est décortiquée par un journaliste fouineur et (très) tatillon qui voit la curiosité comme un précieux défaut.

On est dans un numéro spécial design, oui ou non? Oui, et j’ai bien envie de dire que le design des uns n’est pas forcément le design des autres, donc j’ai tout à fait le droit de considérer l’ouvre-boîtes comme un objet design SI JE VEUX. Et je vais même aller plus loin, tant pis si ça choque: je considère l’ouvre-boîtes comme l’un des objets design les plus séduisants que l’Humanité ait jamais créé. C’est bien simple: chaque fois que je réussis à retrouver le mien dans le tiroir où il prend un malin plaisir à jouer à cache-cache avec le tire-bouchon, le presse-ail, l’éplucheur à patates, la cuillère à glace, l’allume-gaz, les couverts à salade, le presse-citron, la râpe à fromage, le couteau à tomates, la… Bref, chaque fois que je remets miraculeusement la main dessus, je m’extasie face à l’ingéniosité de l’objet, et je vous jure que j’exagère à peine.

Bien sûr, je parle ici du fantastique ouvre-boîtes à deux molettes, celui qui fait trembler n’importe quelle boîte de thon et, une fois posé dessus, se met à grignoter le métal dans toute sa circonférence, ne laissant aucune chance au couvercle soudainement prisonnier de son aileron d’acier qui, tel un grand requin blanc, tranche sa proie avec ferveur et délectation, allant jusqu’à faire jaillir de l’huile de l’olive des entrailles de sa pauvre victime. Je vous supplie d’essayer: la prochaine fois que vous ouvrez une boîte de thon (ça marche aussi avec des tomates pelées, hein, entendons-nous bien) (et, oui, avec des raviolis aussi, mais si ça ne vous dérange pas, j’aimerais poursuivre), vous mettez la musique des Dents de la mer en fond sonore, et je vous jure que vous allez vivre une expérience déroutante.

A propos de mer, j’ai cru nager en pleine absurdie quand j’ai appris que ce génial ouvre-boîtes n’avait été breveté qu’en 1858. C’est un certain Ezra Warner — un brave gars du Connecticut — qui s’en est chargé, je l’ai appris en préparant cette chronique et j’ai instantanément commandé un poster à son effigie pour mettre dans ma chambre (même si je dois encore en discuter avec ma copine).

Mon admiration envers cet inventeur extraordinaire est d’autant plus grande que l’ouvre-boîtes est apparu comme une véritable libération, puisque la boîte de conserve, elle, avait vu le jour… un demi-siècle plus tôt! Je sais, c’est assez dingue. D’ailleurs, depuis que je sais ça, deux questions occupent mon esprit presque nuit et jour. La première: dans le fond, le Connecticut, ça se trouve où exactement? La seconde: comment diable les êtres humains ont-ils fait pour ouvrir leurs boîtes de conserve sans ouvre-boîtes durant près de cinquante ans?

Intéressons-nous uniquement à la seconde question, si vous le voulez bien. Je suis sûr qu’avec votre imagination débordante, vous vous dites que les gens fendaient le métal avec leurs dents, une hache ou un simple coupe-bordures. Mais en fait, la réponse est bien plus basique: ils utilisaient un marteau et un burin – oui, c’est presque décevant. Bravo à eux pour leur courage, en tout cas. Mais surtout, félicitations à Ezra Warner qui, grâce à son invention, a permis à la boîte de conserve de gagner les galons qu’elle méritait.

Je m’en voudrais, d’ailleurs, de ne pas en profiter pour rendre ici hommage à celui qui a imaginé cette boîte qui squatte nos armoires depuis tant de temps: Nicolas Appert. Ce confiseur français, en plus de posséder un très joli prénom, l’a mise au point vers 1810 alors qu’il cherchait le meilleur moyen de stériliser les aliments. A l’époque, il ne sait pas encore que l’objet aidera les grands explorateurs du XIXe siècle à… explorer. Il ne sait pas non plus que les Britanniques en feront l’un des symboles de leur nation en y enfermant leur cheddar, leurs saucisses ou leur pudding. Il ignore que la Première Guerre mondiale transformera la boîte de conserve en véritable objet de nécessité sur le front, avant qu’il ne se mette à séduire les ménagères du monde entier dès les années 20. Bien sûr, il ignore également que dans les sixties, Andy Warhol transformera de simples boîtes de soupe en icônes intemporelles de la pop culture. En fait, à l’époque, il ignore tellement de choses qu’à tous les coups, il ne sait pas non plus où se trouve précisément le Connecticut…

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