Nicolas Balmet

Il n’y a ni horloge ni fenêtre dans les casinos de Las Vegas

Nicolas Balmet Journaliste

Dans cette chronique, rien n’est en toc. Chaque vérité, cocasse ou sidérante, est décortiquée par un journaliste fouineur et (très) tatillon qui voit la curiosité comme un précieux défaut.

Ça ne mérite pas un suspense de quinze lignes: soit vous le saviez déjà, soit vous venez de convoquer cinq petits neurones pour deviner pourquoi les casinos de Las Vegas ne possèdent ni horloges ni fenêtres. L’idée est bien sûr de faire perdre la notion du temps au joueur, histoire que les bandits-manchots et les croupiers aient tout le loisir de lui faire les poches tranquillement. Une technique d’autant plus imparable qu’à Las Vegas, les climatiseurs sont enrichis en oxygène afin de maintenir les cerveaux bien éveillés. Mieux: un personnel aux petits soins se promène nuit et jour sur les tapis moelleux pour servir café, soda ou bière aux flambeurs… en échange d’un riquiqui tip de 1 dollar. Traduction: «Ne bouge pas de là, mon coco, je reviens tout de suite, tu iras te faire marier par Elvis plus tard.»

Vous me direz: mais pourquoi donc notre chroniqueur préféré nous parle-t-il de cela? D’abord parce que je fais ce que je veux. Ensuite parce que j’ai remarqué que ces derniers temps, la «ville qui ne dort jamais» (ça reste encore à prouver, personne ne sait ce qu’elle fait vraiment une fois qu’elle a fini son pack de Budweiser devant Les Experts) était plus que jamais sous le feu des projecteurs. Et que là encore, on peut aisément voir à l’œuvre son art subtil d’embrouiller ses visiteurs.

Je pense à deux événements éloquents: l’ouverture de l’incroyable The Sphere, cette arène de spectacle inaugurée récemment en grande pompe par le groupe U2, ainsi que l’arrivée des bolides de Formule 1 qui, ce 19 novembre, rouleront dans les rues de la mégapole sur un tracé qui empruntera notamment le fameux Strip Boulevard – c’est simple: Vegas n’avait plus accueilli de course de F1 depuis plus de quatre décennies, dites-vous qu’à l’époque, même Alain Prost pilotait encore. Non, je ne dis pas qu’Alain Prost est vieux, c’est juste pour donner un repère, histoire de prouver que je suis quand même plus sympa qu’un casino.

En quoi se fait-on embarbouiller? Dans le cas de The Sphere, les chiffres donnent le tournis: la salle arbore à la fois l’écran LED le plus grand du monde sur sa seule paroi extérieure (imaginez sept terrains de foot transformés en… ballon géant) et quelque 170 000 haut-parleurs permettant de transformer n’importe quel show en expérience immersive. Autant dire qu’il faut nourrir le monstre: l’énergie nécessaire à son fonctionnement serait d’environ 95 000 MWh par an, soit l’équivalent de la consommation énergétique annuelle d’une ville comme… Bastogne (qui ne s’attendait probablement pas à figurer dans une chronique consacrée à Las Vegas, comme quoi, la vie réserve parfois de drôles de surprises).

La Formule 1? Elle incarne tout ce que l’on reproche à nos sociétés hyper-capitalistes: les bolides (et tous les déplacements planétaires liés à l’organisation des courses) polluent bien plus que de raison, tandis que les dollars ont fait une queue de poisson à la performance sportive. A l’ère Alain Prost, on se moquait de tout ça. Aujourd’hui, le CO2 qui embaume les paddocks, ça fait mauvais genre. Mais! Car il y a toujours un «mais». Accuser la Sphere ou la F1 de manquer de tact envers notre verte époque, ce serait oublier qu’elles constituent aussi de formidables laboratoires technologiques. La Sphere promet de fonctionner dès que possible avec 70% d’énergie solaire, et les ingénieurs de la F1 imaginent depuis un bail des innovations ayant des répercussions dans des secteurs comme l’informatique, la sécurité, la santé ou… l’automobile utilisée par Monsieur et Madame Toutlemonde pour aller au Aldi (chez Aldi? ) (à l’Aldi? ) (Jacques Aldi? ) (bref)

On fait quoi, dès lors? Peut-être qu’on ne s’énerve pas forcément tout de suite ou, en tous cas, pas trop fort. Ethiquement, on a vu mieux qu’un casino qui désoriente ses clients, une salle de spectacle visible depuis le ciel ou des voitures lancées à toute berzingue sur un bitume illuminé par les fontaines du Bellagio. Mais tout cela n’est «que» du divertissement, on en a tous un peu besoin et c’est déjà bien plus cautionnable que beaucoup d’autres choses (au hasard, citons le nouvel album d’Ed Sheeran). Et puis bon, je vais terminer cette chronique comme je l’ai commencée, c’est-à-dire en ne vous apprenant rien du tout: tout ce qui se passe à Vegas reste à Vegas, sacré nom de Zeus!

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