Edgar Kosma

Rien n’est éternel

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Au royaume des réseaux sociaux, les jours passent et ne se ressemblent pas. Entre les buzz et les likes, le vrai et le fake, Edgar Kosma scrolle le fil d’actu d’un siècle décidément étrange. Hashtag sans filtre.

Pour commencer, je vais vous demander de vous asseoir dans votre canapé et de déposer votre smartphone… Allez, un peu de courage, ce ne sera pas long… Et mettez-le en mode avion tant que vous y êtes… Posez à présent vos mains sur vos genoux, fermez les yeux et supposez un instant qu’ils disparaissent… Non, pas vos genoux, mais les réseaux sociaux…

Petite difficulté en plus: n’imaginez pas qu’ils seront remplacés par d’autres, mais qu’il n’y en aura tout simplement plus. Oui, je sais, c’est difficile à visualiser, mais faites un effort, svp… Que voyez-vous? Du temps libre? Du vide qui vous effraie? Une nouvelle vie qui s’offre à vous?

Les réseaux sociaux font tellement partie de nos vies depuis plus de quinze ans qu’il est difficile, voire impossible, d’envisager nos existences sans eux, ni même de se souvenir de nos vies d’avant. Comme si, tels des charognards, ils nous avaient dévorés de l’intérieur et avaient atteint nos facultés cognitives les plus primaires.

Pourtant, rien n’est éternel dans ce bas-monde, il y a beaucoup de choses que l’on pensait là pour toujours et qui ont périclité: Rome, les calèches, MySpace.

Leur hégémonie semble aujourd’hui totale, pour ne pas dire totalitaire, mais — il y a un mais — tout ne va pas pour le mieux dans l’univers des réseaux sociaux. Selon Ian Bogost, chroniqueur du secteur numérique pour le mensuel américain The Atlantic: «C’est la fin. Facebook est en déclin. Twitter livré au chaos.»

Ce sont des faits: Facebook, le produit-phare de Meta, perd des milliards avec son Metavers, a licencié plus de 11 000 employés et son avenir n’est pas rose ; de son côté, Twitter, depuis le rachat d’Elon Musk, a perdu des milliers d’annonceurs et la stratégie de vérification payante ne porte pas ses fruits.

Certes, les chiffres de fréquentation se comptent encore en millions, voire milliards, et il reste bien sûr des réseaux qui cartonnent, comme TikTok, par exemple, avec son gros milliard d’utilisateurs et ses 80 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel. Mais, sur un plus long terme, ce qui se passe pour les pionniers n’arrivera-t-il pas aux suivants avec un simple décalage? Même les énergies fossiles qui, il y a quelques années encore, faisaient tourner le monde, pourraient passer l’arme à gauche dans les prochaines décennies, alors pourquoi ces plates-formes feraient-elles office d’exception?

Leur force, c’est l’addiction. Mais n’est-ce pas aussi leur faiblesse? Une addiction peut-elle toujours s’intensifier? Ou bien est-elle vouée à atteindre un point de basculement, un burn out mondial qui nous dirigera inéluctablement vers un grand sevrage collectif?

‘Leur force, c’est l’addiction. Mais n’est-ce pas aussi leur faiblesse?’

Ce moment, s’il arrivait, serait bien sûr difficile à passer, car comme le souligne Ian Bogost: «Nous avons adapté nos vies pour nous conformer aux plaisirs et aux tourments des réseaux sociaux. Et il semble aussi difficile d’abandonner ceux-ci que d’arrêter de fumer en masse, comme l’ont fait les Américains au XXe siècle.»

Et dans ce nouveau monde, comment ferons-nous pour communiquer sans Facebook? Comment ferons-nous pour nous informer sans Twitter? Comment ferons-nous pour voyager sans Instagram? Bref, comment ferons-nous pour refaire ce que nous faisions avant? Il nous faudra réapprendre nos gammes des gestes sociaux: sortir de chez soi, ne plus interagir avec plusieurs dizaines de personnes sur une journée mais avoir des discussions plus longues avec l’un ou l’autre, téléphoner à des amis, écouter la radio, lire un livre, ne plus tout savoir des gens sans les avoir vus, mais le leur demander quand on les croise…

Ce sera certainement bizarre au début. Comme c’était bizarre au départ de s’adapter à cette nouvelle forme d’interaction sociale. Mais avec un peu de temps, nous nous y habituerons, faites-moi confiance. Puis, qui sait, peut-être qu’un jour, nous nous rappellerons cette vieille addiction en souriant, comme lorsqu’on se souvient du fait qu’il y a quelques décennies, on fumait encore dans l’avion.

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