Lisette Lombé

Chronique | Une saison à la fois, pour s’aimer

8h30. Esplanade ensoleillée, entre la Cathédrale et la Gare de Cologne. Cette lumière fait du bien après des jours et des jours de grisaille. Premier vendredi du printemps. Douceur des températures. J’aime cette sensation de sève qui remonte de l’hiver. C’est physique. C’est dans les jambes et dans le ventre. Hier, en arrivant à l’hôtel, par la fenêtre du taxi, j’ai aperçu de gigantesques magnolias en fleurs. Contraste entre les dégradés rosés des fleurs et les teintes métalliques des immeubles. Ailleurs, des cerisiers du Japon. Souvenirs d’un voyage à Dublin. Couple en fin de vie, sensation de solitude alors qu’accompagnée, corps qui entrouvre la grille d’un parc, corps qui arpente les allées fleuries, corps qui se couche dans l’herbe, corps qui se laisse recouvrir de pétales et pleure.

8h31. Lendemain de rencontre littéraire. Joie d’un premier recueil de poésie traduit en langue allemande. Grâce à une comédienne, mes textes ont pu être compris par le public non francophone. Cette femme avait le même âge et la même couleur de peau que moi. Etrange sensation d’une seule et même voix, d’une continuité de l’intention, de similarités dans la rythmique, d’échos des vécus. Cœur léger. Jolie certitude : je vais rentrer en Belgique et ma poésie pourra poursuivre le voyage sans moi.

8h32. Faire le tour de l’esplanade plutôt que d’attendre dans le hall de la gare. Dans les jambes, la fatigue de la multiplication des sauts de puce de part et d’autre des frontières. Dans la tête, l’agenda professionnel de 2025 qu’il faut déjà ouvrir alors que l’organisation des activités du week-end avec les enfants est encore à caler. Ça frotte entre la vie de famille et la vie d’artiste, ça tiraille entre le nid et la scène, entre l’aspiration au calme et l’appel de l’effervescence.

8h35. Sur le sol de l’esplanade, dessiné à la craie, un grand cercle avec, en son centre, les drapeaux de nombreux pays. En bordure de cette œuvre éphémère, une boîte avec quelques euros pour soutenir l’artiste et un message de paix à l’échelle de la planète. J’aperçois les couleurs de la Belgique, de la Palestine, du Brésil et, côte à côte, celles de la Slovaquie et du Congo, comme un clin d’œil au couple formé par mon frère et sa compagne. Je leur envoie une photo en guise de bonnes ondes pour démarrer leur journée.

Hier soir, à la table du restaurant, je partageais, avec les organisatrices de l’événement, le fait qu’au sein du collectif de poétesses dont je fais partie, nous démarrions souvent nos journées par de tels partages d’attentions. Rituel bienveillant. Prendre des nouvelles les unes des autres, féliciter pour une actualité brillante, célébrer les succès, inviter à savourer la joie présente, inviter à foncer, à plonger, à oser, enjoindre ne pas s’autosaborder, de ne pas laisser un sentiment d’illégitimité reprendre injustement ses quartiers en nous. C’est une gymnastique quotidienne que de prendre soin de sa propre estime et de celle de ses proches.

8h40. Embarquement. Dans une heure, je serai à Liège. Ecrire, vite, tant que les images du dehors sont encore palpables. Sur le quai, un homme adresse des baisers à la femme assise à côté de moi. Quels âges ont ces deux tourtereaux ? La septantaine ? Peut-être plus. C’est troublant ce bel amour qui volète si près de moi.

Que se souhaiter de plus ?

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