Lisette Lombé

Vous souvenez-vous de l’année où vous avez le plus grandi ?

Dès le mois de janvier, elle succédera à Mustafa Kör pour devenir notre Poétesse nationale » le temps d’une année copieuse. Il va sans dire que nous restons fiers et heureux de la compter parmi nos plumes « maison ». Chronique d’une fin d’année annoncée…

Hier, j’ai animé un atelier d’écriture en journée et modéré une rencontre en soirée. Peu dormi, encore emplie des propos et de l’énergie des personnes rencontrées dans les deux lieux. Plus l’automne avance, plus la fatigue se marque sur mon visage.

J’entre dans un magasin de cosmétiques, situé dans le hall de la gare de Liège Guillemins et j’achète deux paquets de patchs anti-fatigue. Je sais que je devrais m’attaquer à la cause du problème plutôt que de tenter de masquer ses effets mais je ne peux pas me permettre le luxe du repos en ce moment. Il va falloir donner un dernier coup de reins avant les fêtes. La cure de sommeil attendra. Déjà, terminer cette dernière chronique de 2023 !A la caisse, le vendeur me fait remarquer une réduction qui devrait m’intéresser. Je prends donc quatre paquets pour le prix de deux. Je reste cette mère de famille économe qui sourit intérieurement chaque fois qu’elle peut épargner quelques euros. J’ai égaré ma carte de fidélité mais pas de problème : on peut me retrouver dans le système via mon nom et mon code postal.

Mon train n’arrive que dans quinze minutes. Je ne suis pas pressée. On parle prénom de naissance, surnom, nom de scène. Le visage du vendeur s’illumine en comprenant que je suis poétesse. Celui-ci me cite alors, de mémoire, les premiers vers d’un poème étudié quarante ans plus tôt. J’imagine l’enfant face à ses camarades de classe. J’imagine le petit cœur qui bat la chamade, les mains moites, la peur du trou de mémoire, les joues rouges. Je projette ma timidité de l’époque sur cet homme. Le poème parle de lit, de dodo, de petit qui ne veut pas se coucher.

Dans le train qui me mène à Rennes, je tente, en vain, de retrouver le texte sur Internet. Petite déception car j’ai promis au monsieur que je partagerais l’incipit ici. Il faut lâcher. On ne peut pas tenir toutes nos promesses. Alors, au-delà de ses mots, je veux retenir la beauté du surgissement et la fidélité de la mémoire. Je retiens aussi la spontanéité des échanges. Sur mes réseaux sociaux, je poste parfois un extrait de chronique. Vie virtuelle avant vie de papier. Endroit d’abandon. Comme la poétesse Cécile Coulon, comme d’autres qui partagent avec générosité des textes à paraître. Il faut se sentir en confiance et en sécurité pour faire ça, ne pas craindre le vol d’idées.

C’est un positionnement artistique qui m’inspire. Il dit quelque chose des valeurs qui habitent les personnes qui se tiennent à cet endroit-là. J’avais tout de même hésité à publier ce qui commençait à germer pour cette dernière ligne droite de l’année. Parce que le contexte sociétal et politique est tellement dur pour le moment qu’il peut être questionnant de communiquer publiquement sur son bonheur et son équilibre personnel. J’avais pourtant choisi d’intituler le post « Vivre », comme une bravade à la morosité ambiante, un appel à trouver du sens dans un magma d’absurdités.

Je relis ce post au calme et le recopie tel quel, car il disait exactement ce que je ressens encore aujourd’hui. «  color: rgb(5, 5, 5); »>Je vis le plus bel automne de ma vie. C’est une certitude. La saison dense, l’audace, la souplesse, l’assise des liens sûrs et l’âge mûr assumé. Rencontrer des êtres d’une délicatesse rare, qui ont choisi la vie. Se réunir, femmes et enfants, pour écrire et grandir ensemble. Sentir le luxe de la paix. Étreindre le futur avec sérénité grâce à la confiance d’autrui. Prise de conscience d’appartenir à une constellation de grandes voix contemporaines féministes. Sillons creusés avec notre collectif.

Petit pas de côté pour d’autres urgences. Incandescence de la relève. Penser aux tantines qui se lèvent à l’aube pour apporter du soin aux aîné.e.s. Ce n’est pas une hiérarchie des fatigues. C’est un encouragement au quotidien. »J’avais demandé conseil à ma sœur et elle avait validé. Nous échangeons quotidiennement. Lorsqu’au téléphone la conversation prend une tournure plus grave, on se dit : « Non ! On ne raccroche pas sur ce mot ! On se dit autre chose pour terminer ! Tu choisis quel autre mot pour conclure? » Là, sans réfléchir, à l’heure où les rues se parent de guirlandes lumineuses, comme pour repousser la désespérance à plus tard, j’écris : SE SOUTENIR ! 

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