Angèle et sa galaxie intime

Pull en coton, I Love Mr. Mittens. © DR

En même pas deux ans, la jeune chanteuse belge a décollé. A l’aube de son premier album, entre Paris et Bruxelles, elle se prête pour nous au shooting mode noir-jaune-rouge avant de partager sa galaxie intime.

Il y a longtemps, quand elle était encore une très, très jeune fille, elle avait fait un stage d’observation au MAD Brussels, la plate-forme qui soutient la création dans la capitale. Elle était alors en secondaire et s’imaginait, pourquoi pas, travailler dans la mode. Puis elle avait compris que ce n’était pas son truc. Elle chantonnait déjà en douce, de sa voix singulièrement ourlée, chevillée à son piano, dans sa chambre, sans faire aucun plan sur la comète. Comment aurait-elle imaginé que le 5 octobre prochain, elle sortirait son premier album baptisé Brol, qu’elle l’aurait enregistré à Paris, qu’auparavant, elle aurait passé son été en tournée, de Couleur Café à Werchter, des Vieilles Charrues aux Ardentes, des Francofolies de La Rochelle au Pukkelpop, dans le désordre. Et que tout ceci aurait le goût de l’engouement tatoué à la célébrité, avec 385 000 followers sur son Instagram et trois clips balancés habilement presque à équidistance temporelle, d’octobre 2017 à juin de cette année-ci, lesquels firent un malheur avec 10 millions de vues sur YouTube pour La loi de Murphy, 5 pour Je veux tes yeux et 4 pour La thune, ouf.

Avec une belle intelligence, doublée d’un humour charmant et ravageur, Angèle, chanteuse, a fait ses premiers pas en dansant, légère. Aujourd’hui, avant son Brol, une flopée de concerts internationaux dans des salles prestigieuses et d’autres projets à venir, qui pourraient avoir l’air cinématographique, la demoiselle se prête au jeu du rhabillez-moi. Avec grâce. Pourtant, elle  » n’aime pas trop ça  » – il est si difficile parfois de se retrouver, se reconnaître, dans une photo cadrée où son univers n’entrerait qu’à grand-peine. Malgré tout, avec cette fraîcheur qui n’est pas seulement l’apanage de sa jeunesse, elle s’est glissée dans une garde-robe belge que l’on croirait taillée sur elle, pour elle. Il n’a pas fallu des heures pour la maquiller, Sigrid Volders, make-up artist pour Chanel, s’est contentée d’une micro touche de correcteur rose, le naturel lui va si bien. Angèle a contrôlé son reflet dans la vitre du MAD qui ouvre sur la terrasse, le blanc si présent conjugué à l’ardeur du soleil lui a fait plisser les yeux, elle était prête, amusée, éblouie par l’éclat du lieu.  » Je me souviens que pendant mon stage, dans les anciens bureaux, il était question de ce projet architectural – le bâtiment est très beau, c’est cool d’avoir un endroit comme ça à Bruxelles. Et puis c’est rigolo d’y être trois ans plus tard, dans le cadre de mon travail, je n’y aurais jamais cru…  » Elle se pose sur l’escalier pour ce qui deviendra la couverture du Vif Weekend du 30 août 2018, étendue pieds nus, vêtue de créateurs de chez nous. Elle ne cille plus, professionnelle, loin de toute minauderie, regarde droit dans l’objectif du photographe Benoît Do Quang, même génération, même bande, même famille, presque, puisqu’il est aussi musicien aux côtés de son frère, le rappeur Roméo Elvis, et que de surcroît il lui a installé le logiciel sur lequel elle compose – il a souri,  » je suis fort occupé avec la famille Van Laeken « . Plus tard, quand la séance sera dans la poche, elle parlera d’elle sans fard et de ceux qui composent sa galaxie intime,  » plutôt des femmes « ,  » des personnalités « , elle s’excuserait presque que ce soit toujours les mêmes qui reviennent, comment le lui reprocher, elle a 22 ans à peine –  » Ma vie vient de commencer.  »

Charlotte Abramow photographe, réalisatrice

 » Je l’ai rencontrée officiellement il y a près de deux ans, officieusement, je savais qui elle était et elle aussi, parce qu’elle traînait avec des gens d’Uccle, qui est tout petit. Elle photographiait mes copines dans les champs, je suivais son travail. Et puis elle est tombée sur ma page Instagram et quand j’ai vu qu’elle commentait, je me suis dit, avec Sylvie Farr, ma manager, ex-cheftaine guide et ex-baby-sitter,  » il faut qu’on lui demande de bosser ensemble « . Parce qu’on adorait et qu’on n’était nulle part. On n’avait aucune photo de presse, rien du tout. Un peu par hasard, on a fait un premier shooting, on a dû en faire dix depuis, c’était il n’y a pas si longtemps, le 4 janvier 2017. Mais j’ai l’impression que c’était il y a dix ans. Il était vraiment cool, elle m’avait mis des spaghettis sur la tête, il nous a permis de constater qu’on collaborait très bien ensemble, qu’on était en accord, qu’on avait des idées qui se rejoignaient. Elle avait compris mon univers en regardant juste mes vidéos, le décalage qu’il fallait apporter. Même en termes de stylisme, elle avait repéré le fait que j’aime mélanger des trucs très loose, un peu masculins, avec du très féminin et parfois du vintage. Elle avait perçu ce côté très coloré et l’humour, pas grossier, vulgaire ou gratuit mais celui qui permet d’avoir un point de vue autre que juste  » c’est un projet musical avec une fille qui chante « . Ça lui a plu tout de suite. Elle observe beaucoup, je l’appelle la stalker, mais ce n’est pas péjoratif, c’est pour rire. Elle étudie, se nourrit de tout et elle est souvent très juste. J’ai entièrement confiance en elle.  »

Pull en laine et gilet sans manches en coton collection Homme, Arte. Pantalon en velours, Xandres. Baskets, Fiamme.
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Léo Walk danseur et chorégraphe, créateur de la marque Walk in Paris

 » C’est mon amoureux. A la base, il n’était pas du tout censé m’aider, on s’était dit que le travail devrait rester en dehors de notre couple. Mais bon, c’est tellement présent dans ma vie qu’on n’a pas pu s’empêcher d’en discuter. Léo a toujours été là quand j’ai pris des décisions, surtout artistiques, il a pu me rediriger quand il sentait que je m’éloignais… Il m’a donné des conseils et confiance en moi. Avant lui, je dansais mais jamais de manière assumée. Je l’ai rencontré à peu près au même moment que Charlotte et grâce à Roméo ( NDLR : le chanteur Roméo Elvis, son frère, lire par ailleurs). J’ai ce souvenir qu’on dansait sans cesse – il vient de Paris, il est habitué à de petits espaces, or, à Bruxelles, les intérieurs sont grands, du coup, il mettait de la musique et on s’élançait. Il trouvait que j’étais gauche, que je bougeais mal entre guillemets, mais  » avec un côté tellement assumé qu’on y croit « . Il adore les gens lambda qui dansent.  » Il faut que ce soit ta force, m’a-t-il dit, et que tu oses le montrer en concert.  » Je ne peux pas m’en empêcher de toute façon, sur scène, j’ai besoin de m’amuser, de bouger, et j’ai réussi à l’assumer grâce à lui.  »

Laurence Bibot ma mère

 » Elle a contribué à éveiller ma curiosité. Elle adorait regarder des vieux films, mais quand tu es enfant, tu n’as pas vraiment envie de ça, elle savait pourtant comment m’avoir. Elle me montrait de tout, Les demoiselles de Rochefort et les Monty Python… C’est tellement différent, la manière de filmer, l’époque, la bande-son, le stylisme, cela ne peut que t’ouvrir l’esprit. Elle m’avait fait découvrir Breakfast at Tiffany’s, j’avais adoré, pour les vues de New York, la beauté d’Audrey Hepburn et la musique. Je l’avais regardé avec beaucoup de naïveté, quand j’ai lu le livre beaucoup plus tard, je me suis dit :  » C’est horrible.  » Je trouve que ma mère est plus curieuse que moi, je suis un peu une fainéante, enfin, parfois je manque de curiosité… Par contre, je ne suis pas une paresseuse pour le travail sinon je ne serais pas là, mais c’est parce que j’aime ce que je fais. En fait, je suis flemarde quand je n’aime pas ce que je fais.  »

Roméo mon frère, et MARKA mon père

 » Les deux hommes de ma famille ont pas mal de choses en commun mais surtout ce côté très protecteur avec moi. Ma mère m’a toujours dit  » Fonce « , eux ont plutôt tendance à me surprotéger. J’ai travaillé avec eux avant d’avoir mon projet, ils ont été des rampes de lancement pour moi.  »

Lena Dunham actrice et réalisatrice (1986, New York)

 » Je l’ai découverte grâce à Girls, que je regardais avec ma mère, encore une fois – je m’en souviens vraiment, à la première scène, elle a explosé de rire. J’aime la justesse de cette fille, même si je peux essentiellement parler de Girls, je ne connais pas le reste ; elle a un côté décomplexé que je trouve hyper intéressant. Elle n’a pas ce truc un peu faux, où l’on veut nous faire croire que les femmes doivent être décomplexées alors qu’en fait, on restera avec les mêmes diktats toute notre vie. Ce genre de message qui prétend que c’est beau d’être ronde mais sans y croire. Dans la série, il y a une scène incroyable : elle joue au ping-pong en culotte, la situation est juste super drôle, comme si c’était entièrement normal. Et du coup tu n’as pas l’impression que l’on te ment en sous-entendant que c’est super d’avoir des formes, et ça, j’aime bien. Et puis son humour est irrésistible.  »

Pull en laine, Tuinch.
Pull en laine, Tuinch.

Mon style

 » Comme je dois assurer sur scène, je dois être confortable. Je ne mets pas de talons hauts, j’ai besoin d’être hyper libre, de pouvoir faire les gestes que je veux. Et dans ma vie de tous les jours aussi. J’adore les chaussures à talons, j’en ai mais je n’en porte jamais parce que je trouve que c’est inhumain – tu ne peux pas marcher normalement, tu ne peux pas courir, tu as mal aux jambes, aux pieds, tu es dans une posture un peu difficile… Je trouve que c’est très beau mais cela s’arrête là. Pareil pour une jupe, je ne suis pas à l’aise. J’ai toujours besoin de la tirer, quand je m’assieds dans le bus, ou n’importe où d’ailleurs. J’aime les pièces amples et je porte beaucoup de vêtements d’homme, je mets presque plus ceux de mon copain que les miens, ce qui a tendance à l’énerver parfois.  »

Féministe toi-même

 » Je suis féministe. Mais la bonne nouvelle, c’est que plein de jeunes femmes le sont. Même s’il existe des tas de manières différentes de l’être. Je le suis parce que j’ai évidemment envie de défendre la cause des femmes et que je crois qu’il y a encore du boulot à ce niveau-là. J’essaie de le faire à travers mon travail, mais ce n’est pas non plus ma cause principale parce que je suis chanteuse avant tout et que j’ai envie d’aborder beaucoup d’autres sujets. Je parle effectivement de féminisme, parfois sans le vouloir aussi. Je crois que le fait d’être une fille indépendante, d’avoir créé ma société et de le revendiquer de manière légère est la preuve que c’est désormais possible. Les femmes d’aujourd’hui peuvent être indépendantes, elles peuvent écrire leurs chansons, peut-être faut-il rappeler que depuis la nuit des temps elles en écrivent et que cela ne changera pas.  »

Beyoncé chanteuse (1981, Houston)

 » C’est l’une des seules artistes que j’écoute depuis que je suis toute petite, que j’écoute encore aujourd’hui, que j’ai vue évoluer et dont le parcours me plaît.  »

Écrire

 » Je n’écris pas dans la douleur, non. Sauf les chansons d’amour tristes, parce que c’est ce que je ressens alors, mais il y en a peu. L’album compte une douzaine de titres, surtout des chansons d’amour positives qui racontent comment je le vis et comment je le vois. J’écris dans le moment présent – si c’est sur la jalousie, c’est parce que je suis jalouse à ce moment-là, si c’est sur les réseaux sociaux, c’est parce que je suis dans ce mood-là et si je suis triste, aussi… Mais cela ne m’inspire pas plus d’être triste que de penser :  » Tiens, j’ai la flemme de sortir.  »  »

Hélène Ségara chanteuse (1971, Six-Fours-les-Plages)

 » Je l’ai écoutée toute mon enfance. Avant de monter sur scène, je chante dessus, je me chauffe la voix. Elle le sait, mais elle est fâchée, parce que j’ai dit un jour que j’avais honte d’écouter cela en public, ce n’était pas malin, je me rattraperai… Mais je parle tellement d’elle en interview qu’elle finira par comprendre qu’il y a beaucoup d’amour en moi. Pour ma défense et pour la sienne, je n’ai pas exactement exprimé cela. J’avais juste raconté que je l’écoutais en cachette parce que je faisais alors la première partie de Damso, qui est tout de même un rappeur ghetto – j’avoue que je m’assurais que la porte de ma loge soit bien fermée pour l’écouter.  »

Tee-shirt en coton, Y/Project. Doudoune en Nylon, Essentiel.
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Brol Mon premier album

 » J’avais simplement envie de mettre un mot belge dans mon album, d’autant qu’il m’a toujours fait rire. D’ailleurs, cela va être rigolo, en France, il va falloir à chaque fois le remettre dans son contexte… La vraie histoire est assez simple : ma mère avait acheté des petites lettres pour les coller sur une boîte à  » brol « , j’adorais la typo, je les ai mises sur mon ordi, pour cacher la pomme, et j’ai fait tous mes premiers concerts avec ce  » brol  » que l’on peut voir sur les vieilles photos. Je m’étais même fait broder un tee-shirt par une copine. J’aime ces lettres, le b, et sa définition aussi, le bordel, le désordre mais optimiste et léger, ce n’est pas du tout péjoratif. Ce mot me rappelle mon enfance, mon pays parce que j’y suis de moins en moins. Je le trouve du coup très rassurant. Et puis, le brol, c’est ce que tu peux avoir sur ta table quand tu rentres chez toi. Tu as toujours un bol, enfin chez moi c’est comme ça, où tu déposes un briquet, des Dafalgan, un porte-clés, un élastique, toute ta vie… Ce premier album a été fait en très peu de temps, c’est une sorte de mélange de tout ce que j’ai vu, de français et d’anglais, entre le jazz et la pop, avec du hip-hop et des prod’ électroniques parfois un peu disco. J’aime l’idée qu’un seul mot puisse en parler et évoquer ce côté bancal parfois, où tout n’est pas carré, ni trop calculé parce que sinon cela perdrait de sa spontanéité.  »

Composer

 » Soit je suis au piano et une chanson naît alors de manière un peu soudaine -cela va très vite, en général. Soit je crée sur le logiciel Ableton, sur mon ordinateur. Comme Je veux tes yeux, qui fait partie d’une prod’ et d’autres, où c’est plutôt une phrase qui m’inspire, genre La thune. J’avais cette phrase en tête  » tout le monde y veut seulement la thune  » que je voyais sur une mélodie particulière. Ce sont plutôt des punchlines qui m’influencent et des accords, souvent assez répétitifs. Parfois, c’est un mélange de tout, un refrain qui me vient et puis le reste, je le compose, piano, voix. De mes études à Anvers, je retiens surtout l’apport du jazz. Jusque-là, je n’avais appris que le classique, c’est très bien mais il est difficile d’en sortir autre chose. Comme tout est écrit, on apprend à suivre une partition, à travailler l’interprétation, mais il y a peu de place pour l’invention, alors que le jazz te demande surtout d’imaginer et d’avoir une connaissance très précise de la théorie. Cela donne une impression de liberté, malgré les contraintes théoriques et harmoniques. Le jazz, c’est un truc de fou, les accords y sont beaucoup plus complexes qu’en classique, il y a des tensions… Au début, quand j’écrivais des chansons, comme j’étais dans cette école, je ne faisais que des accords en septième, très jazzy. J’ai dû un peu m’en défaire parce que cela enfermait mon projet dans une case… Or, la pop, c’est l’entre-deux, harmoniquement, c’est assez facile, c’est ce qui fait, je pense, que c’est accessible à tous – tu l’écoutes et ton cerveau fait des connexions simples. Dans La thune, il y a trois accords, dans la chanson avec Roméo, il y en a deux, j’ai presque l’impression que les plus fortes sont les moins compliquées harmoniquement. Ou pas, mais cela peut arriver ! En tout cas, cela m’a aidée d’avoir les deux bagages…  »

Ella Fitzgerald chanteuse (1917, Newport news – 1996, Beverly Hills)

 » Elle me touche, toutes les chansons qu’elle a interprétées, que ce soit des balades, du swing ou des morceaux très up tempo. Dès que j’entends sa voix, je me sens un peu mélancolique.  »

Production et stylisme : Adrien Gras

Photographe : Benoît Do Quang

Coiffure et maquillage : Sigrid Volders pour Chanel

Remerciements au MAD Brussels (www.mad.brussels).

Voir aussi notre carnet d’adresses.

Son actu

Nouvel album, Brol, sortie le 5 octobre prochain chez Universal.

Prochains concerts : au Vooruit, à Gent, le 21 novembre ; au Trianon, à Paris, le 23 novembre ; à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles, les 26 et 27 novembre ; au Manège de la Caserne Fonck, à Liège, le 29 novembre ; au Muziekcentrum Trix, à Anvers, le 30 novembre.

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