La renaissance du Maxim’s, le mythique restaurant de la jet-set parisienne
Serge Gainsbourg lui consacra une chanson, Aristote Onassis y dîna avec Maria Callas et Mick Jagger avec Jerry Hall. Fondé en 1893, Maxim’s fut longtemps le QG de la jet-set mondiale. Après des années plus sombres, l’institution refait parler d’elle.
Derrière l’auvent rouge d’un bâtiment classique situé rue Royale, entre la place de la Concorde et l’église de la Madeleine aux allures de temple grec, se dresse depuis 1893 Maxim’s, un des lieux les plus mythiques de Paris. Ce restaurant a connu des temps plus florissants, mais il vit aujourd’hui une renaissance. En effet, il a été repris en novembre dernier par l’un des plus puissants groupes de restaurants français. Une décoratrice renommée l’a dépoussiéré, et les menus ont été remis au goût du jour.
La naissance d’un mythe
La brasserie originale est fondée en 1893 par un certain Maxime Gaillard, dans un immeuble précédemment occupé par un glacier. La première rénovation a lieu à peine six ans plus tard, en prévision de l’exposition universelle et des jeux Olympiques de 1900.
C’est à cette époque que le Grand et le Petit Palais sont construits, tout comme la gare d’Orsay, en bord de Seine, l’imposant pont Alexandre III et la première ligne du métro parisien dont les bouches sophistiquées sont dues à l’architecte Hector Guimard.
Maxim’s est caractéristique de son époque: trois étages débordant de dorures, de miroirs, de vitraux, de fresques murales et d’ornements rouge carmin… Un lieu «où l’on emmène les dames, mais jamais son épouse», confie un témoin à l’époque.
L’opérette à succès La veuve joyeuse, composée en 1905 par Franz Lehár, se déroule chez Maxim’s. En 1932, après une période moins faste, le restaurant est de nouveau repris, cette fois par le restaurateur Octave Vaudable.
Ce sont alors les années Joséphine Baker, Jean Cocteau et Georges Feydeau, auteur de La Dame de Chez Maxim, un succès du théâtre de boulevard. La période de guerre sera néanmoins pénible, l’établissement étant administré par les Allemands et devenant le lieu de prédilection des nazis et des collaborateurs. Après la Libération de Paris, Maxim’s fermera ses portes jusqu’en septembre 1946.
Le rendez-vous des amants
Dans les années 50 et 60, l’iconique café devient un concept mondial: le point de ralliement parisien de la jet-set internationale qui y dîne avant de sortir Chez Régine ou chez Castel. On y aperçoit Maria Callas, au bras d’Aristote Onassis, ainsi que les Windsor, la princesse Grace de Monaco, Mick Jagger et Jerry Hall, Jackie Kennedy, Marlene Dietrich, Andy Warhol et compagnie, Salvator Dalí et Amanda Lear.
Brigitte Bardot y déclenche un petit scandale en y foulant la moquette pieds nus. Après une relation avec cette dernière, Serge Gainsbourg y emmène Jane Birkin lors d’un de leurs premiers rendez-vous. En 1963, il écrit et chante Maxim’s, un titre de son 33 tours Confidentiel. Dans son tube disco The Fashion Pack, Amanda Lear évoque elle aussi l’endroit.
Peu après la Seconde Guerre mondiale, l’enseigne, qui est alors sous la direction de la deuxième génération Vaudable, s’exporte notamment à Istanbul, Tokyo, Chicago, et Houston, où la déco est un remake Art nouveau. Une collaboration a lieu avec la compagnie aérienne américaine Pan Am, qui, à la fin des années 50, propose un prestigieux menu parisien Maxim’s à bord de son nouveau Boeing 377 Stratocruiser, les premiers avions à être équipés de fours, paraît-il.
En 1960, les Vaudable s’installent à l’aéroport d’Orly, fraîchement inauguré. A l’occasion de l’ouverture de l’autre aéroport parisien, Charles de Gaulle, au début des années 70, la filiale Air Maxim’s International se voit confier la direction de tous les restaurants du transport hub. Des restaurants voient également le jour dans les aéroports de Lyon et de Marseille, ainsi que dans différents grands magasins. L’entreprise s’occupe par ailleurs du catering sur plusieurs lignes de trains et ouvre deux hôtels.
L’ère Pierre Cardin
En 1978, Louis et Maggie Vaudable signent un contrat avec Pierre Cardin. C’est, d’une part, une stratégie pour accroître leurs revenus, d’autre part, une manière d’éloigner les vautours étrangers. Le 14 avril 1981, moins d’un mois avant l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, le créateur de mode achète l’enseigne.
Pendant sa période de gloire, ce designer aux idées futuristes, doublé d’un homme d’affaires redoutable, s’enrichit en vendant son nom, ou plutôt en le louant à des fabricants de milliers de produits, du linge de lit aux casseroles. Il se rend au Japon dans les années 50, en Chine dans les années 70, en Union soviétique dans les années 80. Il est omniprésent et toujours le numéro un.
Lorsqu’il achète Maxim’s en 1981, il fait exactement la même chose avec ce label. En effet, d’innombrables produits estampillés voient le jour: vaisselle en porcelaine, champagne, même une ligne de costumes pour hommes inspirée des vendredis soir rue Royale, lorsque le code vestimentaire est «black tie». Les ventes vont bon train.
D’autres restaurants fleurissent à l’étranger: à Pékin et, en 1985 à New York. Mais cette année-là, la filiale de Bruxelles, située sur la Grand-Place, et celle de Rio de Janeiro ferment définitivement. Maxim’s New York, un genre de soubresaut final avant le déclin général, ne tardera pas à baisser le rideau, en 1992. En revanche, le restaurant de Pékin existe toujours. Make Ximu, son nom chinois, a été un des premiers restaurants à proposer des plats occidentaux en Chine.
Le début de la fin
Certes, à l’époque, Pierre Cardin a du succès, mais il est aussi mégalomane. Il se considére comme le meilleur, le plus grand, le plus beau. «Tous les couturiers sont influencés par moi, se vante-t-il alors. Tout le monde connaît mon nom.»
Et c’est vrai, jusqu’à un certain point. Progressivement, l’homme tombe néanmoins dans l’oubli. Et Maxim’s suit le même chemin. Jusqu’à la fin de sa vie, le businessman et créateur conserve néanmoins des magasins à Paris: des flagship stores de part et d’autre de l’Elysée, une boutique dans le Marais… dans un décor désuet.
Au bout d’un moment, Maxim’s prend lui aussi des airs de gloire perdue. Les salles sont souvent louées pour des événements, des soirées auxquelles beaucoup de monde participent ou encore des fêtes, souvent de marques de mode.
Presque personne, et surtout pas la jet-set, ne comprend que Maxim’s ne fonctionne à ce moment-là comme restaurant que certains jours de la semaine. Cela fait longtemps que la maison a perdu ses trois étoiles Michelin.
Un guerre d’héritage
En plus de Maxim’s, Pierre Cardin possède de nombreux biens immobiliers, tant à Paris qu’en dehors de la capitale: le futuriste Palais Bulles à la Côte d’Azur, un moulin en Normandie, un appartement sur la Cinquième Avenue à New York, un palais à Venise et deux châteaux en France, dont le Château La Coste datant du XIe siècle, l’ancienne résidence du marquis de Sade en Provence… Sans compter les boutiques, bureaux et un théâtre sur les Champs-Elysées. Mais il refuse de régler sa succession.
«Après ma mort?, s’exclame-t-il trois mois avant son décès, à l’âge de 98 ans, en décembre 2020, lors d’une interview donnée à Paris Match. Je ne pense pas à ça, je n’ai rien planifié. Rien.» Une bataille judiciaire entre vingt-deux de ses petits-neveux et nièces découlera dès lors de son décès, Cardin n’ayant pas d’enfants et une compagne partie en 1993.
Rodrigo Basilicati-Cardin, 53 ans, le petit-fils du frère aîné de Cardin s’avère particulièrement virulent dans ces disputes. Comme il a travaillé plus de vingt ans pour Pierre Cardin, il prétend être son véritable héritier. La plupart des autres membres de la famille s’y opposent. Ce camp-là souhaite vendre la société.
Le renouveau du restaurant
Entre-temps, Basilicati-Cardin confie la gestion de Maxim’s au luxueux groupe Paris Society. Cette entreprise, qui est depuis 2022 une filiale du géant hôtelier Accor, gère 76 restaurants et clubs, surtout en France. Le groupe possède des restaurants tels que Monsieur Bleu au Palais de Tokyo ou CoCo à l’Opéra Garnier, les clubs Raspoutine et Castel, et Gainsbarre, dans l’ancienne maison de Serge Gainsbourg, qui est aujourd’hui un musée.
Toutes ces tables ont des décorations flamboyantes, des menus assez banals et des prix élevés. Le midi, ils sont fréquentés par des hommes d’affaires qui peuvent défrayer leurs repas, et le soir, par des touristes aisés. En février dernier, le fondateur a été condamné à deux ans de prison avec sursis dans le cadre d’une affaire de corruption. Il a interjeté appel.
Pour l’instant, la renaissance de Maxim’s ne se passe pas sans heurts. Le restaurant compte deux sites Web, deux comptes Instagram, plus les canaux numériques de Maxim’s de Paris, l’entreprise qui vend depuis toujours chocolat, foie gras et confitures de l’enseigne. L’image n’est pas encore tout à fait dépoussiérée, et c’est peut-être ce qui contribue à son charme.
Un dresscode contesté
Le dresscode requis ne passe pas non plus inaperçu: «Nous demandons à nos hôtes de faire preuve de respect dans le choix de leur tenue vestimentaire.» Avant que Pierre Cardin ne reprenne Maxim’s, on lui avait refusé l’accès parce qu’il avait osé porter un col roulé sous son costume.
Signe de renouveau toutefois: la décoratrice Cordelia de Castellane s’est vu confier la rénovation du restaurant. Cette conceptrice de la jet-set est directrice artistique de Baby Dior et Maison Dior, et depuis quelque temps de Paris Society, pour lequel elle a récemment aménagé un hôtel dans une abbaye ayant appartenu aux Rothschild.
Ses interventions chez Maxim’s sont restées cependant minimes: comme les intérieurs sont protégés, on ne peut pas faire ce que l’on veut. Elle a paré les coussins des banquettes et des chaises d’un nouvel imprimé fleuri, a dessiné de la vaisselle et retouché le logo car le M initial lui évoquait trop celui de McDonald’s…
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