Exclusif : Jared Leto, joker de luxe

Derrière le regard le plus bleu de Hollywood, un personnage des plus insaisissables. © GETTY IMAGES

Direction Los Angeles, pour une interview exclusive avec l’acteur. Au menu du chitchat, sa collaboration avec Gucci, sa reprise du rôle ô combien iconique du Joker dans Suicide Squad, mais aussi quelques aphorismes dont l’artiste transformiste a le secret et un étonnant parallèle entre Mozart et Justin Bieber.

C’est le regard le plus bleu de Hollywood. Son look d’éternel adolescent ferait presque oublier que le garçon a déjà 44 ans, et cache derrière sa fausse image d’acteur à midinettes un personnage insaisissable, nettement plus complexe qu’il n’y paraît. Et sa seconde carrière en tant que leader du groupe de rock emo Thirty Seconds to Mars, déplaçant des nuées hurlantes de fans maquillées à la truelle, le confirme : Jared Leto mène depuis une vingtaine d’années l’un des plus singuliers parcours du cinéma actuel. Un coup d’oeil à sa filmographie suffit à réduire les mauvaises langues au silence. Depuis ses débuts dans la série Angela, 15 ans aux côtés de Claire Danes, suivis de l’une ou l’autre apparition anecdotique, notamment dans le teen slasher Urban Legend, il enchaîne les rôles exigeants sous les ordres de réalisateurs de haute volée, de Terrence Malick (La ligne rouge) à Oliver Stone (Alexandre), en passant par David Fincher (Fight Club, Panic Room) et Darren Aronofsky (Requiem for a Dream). Sans oublier notre Jaco Van Dormael national pour Mr. Nobody.

A l’affiche d’une demi-dizaine de longs- métrages essentiels du tournant des années 2000, il alterne depuis blockbusters et ciné d’auteur, avec l’envie jamais démentie de se métamorphoser, voire de carrément défigurer sa gueule d’ange, à travers une galerie de personnages aux antipodes de son image d’idole des jeunes filles en fleur. Et n’en déplaise aux haters, ni daube alimentaire, ni comédie honteuse et encore moins de bluettes éculées, comme l’industrie en produit treize à la douzaine, à mettre à son crédit. Capitaliser sur son irrésistible sex-appeal à coups d’oeillades mouillées et de baisers sous la pluie, très peu pour lui. Jared aime se mettre en danger, au propre comme au figuré, et en a encore fait la démonstration avec son dernier film en date, Suicide Squad, sorti chez nous début août dernier, pour lequel il accepta la délicate mission de succéder à Jack Nicholson et Heath Ledger sous les traits du Joker. Et si l’adaptation du comic a reçu un accueil pour le moins mitigé et que le montage final est largement amputé des scènes où il apparaît, on a entre-temps appris que Jared Leto avait déjà rebondi là où on ne l’attendait pas, en rejoignant Harrison Ford et Ryan Gosling au casting d’un des grands rendez-vous cinématographiques de 2017 : la suite du mythique Blade Runner.

Exclusif : Jared Leto, joker de luxe
© Gucci

Pour l’heure, c’est d’abord de sa collaboration avec Gucci dont il est question. Sous la houlette de son copain Alessandro Michele, talentueux directeur artistique de la griffe italienne, Jared est chargé de réactualiser l’univers du sensuel best- seller maison, le parfum masculin Gucci Guilty. Exit le noir et blanc façon Sin City des précédentes campagnes, place à une ambiance hippie-chic plutôt raccord avec le lieu de rendez-vous du jour : Laurel Canyon, retraite bohème du tout- Hollywood, un dédale de ruelles abruptes serpentant sur les hauteurs de la Cité des Anges. C’est au coeur de ces luxuriantes collines que Jared a niché son repaire, dans une ancienne base militaire acquise début 2015. Contrastant avec le stress manifeste des attachées de presse, il nous y accueille en toute décontraction. C’est même lui qui pose les premières questions :  » Salut mon pote, comment ça va ? D’où tu viens ? » Et notre réponse l’enthousiasme.  » Ah, Bruxelles. J’y ai passé pas mal de temps, c’est là qu’on a tourné Mr. Nobody.  »

Avez- vous aimé votre passage chez nous ?

Bien sûr, j’ai adoré ! Bruxelles est une ville intéressante car Nord et Sud s’y rencontrent. Cette proximité avec d’autres pays, ce côté carrefour de cultures rend son contexte particulier.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de participer à cette campagne Gucci Guilty ? L’ADN du parfum, la liberté et le non-conformisme ou plutôt la présence d’Alessandro Michele ?

Quand j’ai rencontré Alessandro, nous sommes vite devenus amis. Je le respecte beaucoup, c’est un grand créateur et une personne merveilleuse. Dès que s’est présentée l’opportunité de travailler ensemble, j’ai pensé que ce serait fun et j’ai été emballé par le projet, qui est très spécial.

Le contact humain, c’est ça qui vous pousse à accepter ou refuser…

Oui. Je ne vois pas de raison de m’engager si je ne pense pas que le projet va être enrichissant. Et c’est le cas, car Alessandro est un véritable artiste, ça a été génial de bosser avec lui.

Comment vous décririez-vous ? Acteur, musicien, réalisateur, tout ça à la fois ?

En fin de compte, oui, je suis un artiste. Un artiste, c’est quelqu’un qui rassemble des idées créatives, qui s’accapare quelque chose et la transforme, pour ensuite la partager avec le monde.

Pour en revenir à Mr. Nobody : Nemo, que vous interprétez, s’essaye à toutes les expériences possibles parce qu’il n’arrive pas à choisir. Peut-on y voir une certaine analogie avec votre carrière ?

Prendre des décisions peut être très difficile, on peut se retrouver paralysé, et chaque nouvelle opportunité amène son lot de choix. Donc oui, je peux me retrouver dans cet aspect de Nemo. Une des choses que j’ai apprises en tournant ce film, c’est qu’en décidant de ne faire aucun choix, on en fait un malgré tout.  » En ne choisissant pas, on choisit « , cette pensée m’a hanté pendant longtemps.

On a pourtant l’impression que vous faites exactement ce que vous voulez, tourner des films, jouer de la musique, réaliser des vidéos…

Son rôle de Joker :
Son rôle de Joker : « Il est la part sombre tapie en chacun de nous. »© ISOPIX

Oui, mais ça ne m’empêche pas de devoir choisir – puisque j’ai la liberté de pouvoir m’exprimer comme je l’entends, cela suppose de décider d’énormément de paramètres. Une chanson n’est que le résultat d’un million de choix. Le son de la guitare ou de la batterie, les voix, les paroles et la mélodie, c’est un paquet d’options sur lesquelles il faut trancher. Quand tu entends une chanson, c’est quelqu’un qui a réussi son équation mathématique, une suite de problèmes et de solutions.

Et il paraît que, justement, vous aimez les maths. Or, on associe assez rarement disciplines scientifiques et domaines artistiques…

Pourtant, la musique, c’est juste des maths… dans lesquelles on aurait introduit un élément illogique. Chaque chanson n’est qu’une réinterprétation. Il y a tellement de sons dans le monde. On les prend, on les modifie, on change leur destinée et leurs intentions avant de les réintroduire sous une forme nouvelle. Donc tous les morceaux sont les mêmes, Mozart ou Justin Bieber, c’est la même chose. Ils ont simplement emprunté des chemins différents.

Comment parvenez-vous à mener de front vos différentes carrières ? Est-ce pour cela que vous tournez moins ces dernières années ?

Le cinéma demande énormément de temps, ce dont je ne dispose pas. C’est aussi simple que ça. Tout le processus est chronophage ; donc il est courant d’être occupé sur un autre projet et de ne pas avoir le temps de faire des films.

Vous avez déjà regretté d’avoir refusé un long-métrage ?

« J’ai directement été emballé par le projet de Gucci, qui est très spécial. »

Non, jamais. J’ai regretté certaines choses que j’ai faites, notamment dans ma vie personnelle, mais rien qui concerne mes choix de tournage. On dit toujours :  » Ne regrette rien, tout ça fait partie de toi, de ce que tu es.  » Même si c’est cliché, il y a une part de vérité. Regretter, ça reviendrait à dire que l’on n’a rien appris de l’échec.

Que recherchez-vous dans un rôle ?

Déjà, je cherche à la fois un rôle et un réalisateur. Ce doit être un challenge, un truc que je n’ai encore jamais fait, un nouveau territoire à explorer.

Par peur de l’ennui ?

Je ne m’ennuie jamais, parce que j’ai toujours quelque chose à faire. J’ai même essayé de m’ennuyer, sans vraiment y arriver. Je ne me rappelle pas de la dernière fois où je me suis dit :  » Là, je m’emmerde.  » J’aimerais bien que ça m’arrive, pour voir…

Vous parliez de challenges, or vous vous êtes attaqué à un personnage de taille, le Joker dans Suicide Squad…

C’était l’un des plus gros défis que j’ai pu relever à l’écran. Il appartient à la légende, donc c’est forcément un peu casse-gueule.

Qu’est-ce qui le rend si spécial ?

Jared Leto en tournage pour Gucci Guilty, dans une ambiance hippie-chic.
Jared Leto en tournage pour Gucci Guilty, dans une ambiance hippie-chic. © GUCCI

Il est la part la plus sombre tapie en chacun de nous, et représente donc toutes les possibilités les plus funestes. Il ne répond à aucune règle, et en l’absence de tout repère, il est facile de se perdre, pour un acteur.

Avez-vous hésité avant d’accepter ?

Non ! Si l’on compare ça à l’ascension d’une montagne, vous pouvez opter pour une petite colline au fond du jardin ou vous attaquer à un vrai sommet. J’ai préféré le sommet.

Ce n’est pas donné à tout le monde…

Pas sûr, je pense au contraire que beaucoup d’autres auraient pu le jouer. Mais je suis content d’avoir pu m’y coller. Et même si j’échoue, avoir eu une opportunité pareille, c’était vraiment cool. Un sacré voyage !

Comment s’y prépare-t-on ?

En passant beaucoup de temps à explorer pour créer quelque chose de toutes pièces. Enfin, pas tout à fait, puisque les comic books étaient là comme base. Mais il fallait réimaginer le personnage, prendre ce rêve et le retourner dans tous les sens, c’était enivrant. Incarner le Joker, c’est comme peindre sur un Warhol… qui aurait été peint sur un Picasso. Tu te dis :  » Waouw, j’ai intérêt à sortir un truc valable ! »

Vous poussez parfois les transformations jusqu’au masochisme. Pourquoi ?

Fight Club (1999)
Exclusif : Jared Leto, joker de luxe
© ISOPIX

Dénommé Angel Face, c’est un Jared peroxydé qui intègre le petit club du turbulent Tyler Durden – et aura l’occasion de le regretter quand il se fait ravaler le portrait à coups de poing par Edward Norton. Lequel ponctuera cette scène culte par un glaçant : « J’avais envie de détruire quelque chose de beau. »

Requiem for a dream (2000)

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© Getty Images

Pour le rôle de junkie qui l’a révélé comme l’un des talents à suivre du nouveau millénaire, il perd une quinzaine de kilos et erre dans les rues de New York déguisé en SDF. Et bien que maqué à Cameron Diaz, il pratiquera l’abstinence sexuelle deux mois durant, pour mieux connaître les effets du manque. On salue l’abnégation.

Coeurs perdus (2006)

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Personnifiant le serial killer Raymond Fernandez, qui cachait pudiquement sa calvitie sous une moumoute à vaguelettes, Jared Leto n’hésite pas à se raser le haut du crâne pour mieux figurer le cheveu rare du baratineur latino-américain. C’était ça ou refiler le rôle à Jude Law.

Chapitre 27 (2007)

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Pour se glisser dans la peau de l’assassin de John Lennon, Mark David Chapman, Jared Leto rejoue au yo-yo des kilos et en prend trente, grâce à un régime drastique fait d’huile d’olive et de glace au chocolat. Un métamorphose qui lui vaudra pas mal de problèmes de santé, parmi lesquels des crises de goutte.

Mr. Nobody (2009)

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Dans cette audacieuse fresque futuriste, Jared incarne plusieurs avatars de Nemo Nobody, dont le premier, du haut de ses 118 ans, nécessite plus de six heures de maquillage par jour. Une performance qui inspire encore et toujours certaines groupies de Thirty Seconds to Mars.

Dallas Buyers Club (2013)

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© ISOPIX

Incarnant un transsexuel, Jared Leto aurait fait tourner les têtes de certains acteurs qui ne l’avaient pas reconnu. Afin d’atteindre l’affolante maigreur affiché par Rayon en fin de film, il se nourrit de liquides et perd vingt-cinq kilos. Sa prestation 5-étoiles lui vaudra l’Oscar du Meilleur Second Rôle lors de la cérémonie de 2014.

Pour voir jusqu’où je peux repousser mes limites. Encore une fois, pour le challenge. On dit toujours que plus il est important, plus grande est la satisfaction ; et je pense que c’est vrai. Réaliser l’impossible, c’est pour ça que nous sommes tous, ici.

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