Nafissatou Thiam: « Je ne conçois pas ma vie sans l’athlétisme »

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Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

Pendant les vacances, Le Vif Weekend revient sur un été marquant dans la vie d’une personnalité. Cette semaine, la championne olympique belge d’heptathlon se souvient de son sacre à Rio, il y a près d’un an. Ce week-end, elle a gagné le titre de championne du monde.

Le jour où nous la rencontrons, toute la presse belge, et même internationale, BBC en tête, s’est donné rendez-vous à Anvers, dans les salons cosy de la tour Fosbury & Sons. Nafissatou Thiam doit y annoncer  » une grande nouvelle « . Pas de retrait prématuré du circuit ou de carnet rose pour autant, la médaillée olympique de 22 ans devient en réalité ambassadrice de l’Unicef et entend le clamer haut et fort.  » Ce qu’on attend surtout de moi, c’est d’aider à la sensibilisation du grand public… Il n’y avait pas de meilleur moment car tout se passe bien et je fais de beaux résultats. L’accès à l’éducation pour tous les enfants est crucial et on peut profiter de mon image pour mettre en lumière cette cause bien plus grande que la mienne et que le sport « , avance-t-elle en toute simplicité, arborant le tee-shirt turquoise de l’organisation devant son top noir siglé d’une virgule couchée, sponsor oblige.

Nafissatou Thiam, aux côtés de l'Unicef pour soutenir l'éducation des enfants dans le monde entier.
Nafissatou Thiam, aux côtés de l’Unicef pour soutenir l’éducation des enfants dans le monde entier. © DR

Rodée aux épreuves au long cours, celle qui enchaîne habituellement sept épreuves d’athlétisme se lance aujourd’hui dans un marathon d’interviews, se prêtant, du haut de sa silhouette longiligne de plus de 1,80 m, à tous les genres – plateau télé, direct dans le JT, intervention téléphonique pour la radio ou questions- réponses kilométriques pour les journaux et magazines… Son sourire ne la quittera pas un instant, jusqu’à ce que la sportive hèle calmement sa manager :  » Il va falloir conclure, j’ai bientôt entraînement et il y a de la route.  » Retour à la raison. C’est que depuis cet été 2016 qui lui a offert l’or olympique, la Namuroise ne lâche pas la barre, rêvant encore d’aller plus haut, plus vite, plus loin… Et cette saison 2017 est placée sous les meilleurs auspices, puisque fin mai dernier, lors d’un meeting en Autriche, Nafi, comme l’appellent son entourage et les commentateurs, est devenue la quatrième femme à passer les 7 000 points en heptathlon et la troisième performeuse mondiale de tous les temps dans cette discipline. En attendant le nouveau grand rendez-vous de sa carrière, en août prochain, aux Championnats du monde, elle a accepté de revenir pour nous, avec beaucoup d’humilité, sur cette semaine brésilienne où tout s’emballa, il y a un peu moins d’un an.

Vous souvenez-vous de vos premières pensées en débarquant à Rio ?

C’était mes premiers Jeux. En 2012, j’avais raté ceux de Londres de peu, mais je n’avais alors que 18 ans et ce n’était pas un objectif. Alors découvrir le village olympique, tous ces athlètes, c’était incroyable ! En fait, les filles qui participaient à ma compétition étaient les mêmes que d’habitude, mais là, aux JO, c’était quand même totalement différent. Le premier jour de l’épreuve, je me suis levée très tôt, je me sentais bien, j’étais prête et j’avais hâte d’être sur la piste…

Et quand vous avez été médaillée ?

Sur le podium à Rio, en 2016.
Sur le podium à Rio, en 2016.© photos : belga image

En réalité, j’ai mis un peu de temps à me rendre compte de l’énormité de la chose. L’or olympique, il n’y a rien au-dessus ! Ce qui me touchait, c’est que tous les sacrifices endurés avaient payé. Et puis, je me suis dit que c’était passé super vite… et que j’avais à nouveau quatre ans pour tout recommencer. Au départ, c’est rude, c’est comme avoir à nouveau une montagne à franchir.

Cela laisse un vide ?

Non, je ne dirais pas cela, car après cette performance, j’ai reçu beaucoup de sollicitations. Il n’y a pas vraiment eu de moments où j’ai pu souffler dans un premier temps. J’ai fait une pause, mais bien plus tard. Et là, oui, c’était un vide… mais il faisait du bien !

L’or olympique, il n’y a rien au-dessus ! Ce qui me touchait, c’est que tous les sacrifices endurés avaient payé.

Comment vivez-vous cette nouvelle charge médiatique ?

Ça fait partie du jeu et c’est important car si on n’en parlait pas, ce serait triste. L’athlétisme est un beau sport et n’est pas suffisamment mis en avant au vu des sportifs très performants qu’on a en Belgique. Mais il est aussi vrai que répondre à la presse prend du temps, que des journées comme celle d’aujourd’hui sont très fatigantes, d’autant que j’enchaîne avec l’entraînement… Au début, c’est vraiment un nouveau monde. Il faut apprendre à faire un tri parmi les demandes d’interview, à refuser, à faire attention à ce qui va être dit de nous. Mais on s’y habitue vite.

Ces Jeux vous ont-ils appris des choses sur vous-même ?

Avant, je misais beaucoup sur le physique, alors qu’à Rio, le mental a eu une importance cruciale. J’ai eu pas mal de difficultés et de blessures avant de partir là-bas. Alors, pouvoir les surmonter et repartir avec l’or, et ce même si je n’étais pas du tout la favorite, c’était un sentiment indescriptible… J’ai appris jusqu’où je pouvais repousser mes limites.

D’autres étés ont-ils marqué fortement votre vie ?

Je me souviens de ceux en Allemagne, avec ma famille, quand j’étais plus jeune… Ma maman aimait beaucoup ce pays. Sinon, depuis des années déjà, mes étés sont consacrés à l’athlétisme : mes premiers championnats du monde à 16 ans, ma première médaille internationale chez les seniors… Mais celui de Rio reste au-dessus du lot.

Nafi enfant, avec ses frères, en vacances.
Nafi enfant, avec ses frères, en vacances. © DR

N’est-ce pas frustrant de consacrer la belle saison exclusivement au sport ?

Non, justement ! Si je pouvais faire cela toute ma vie, ce serait le rêve. Je n’ai pas envie de passer la période estivale autre part que sur une piste d’athlétisme.

Etre sportif de haut niveau, est-ce un sacrifice ?

En réalité, c’est un métier qui, comme beaucoup, demande pas mal d’investissement et est fatigant… Mais ce qui est différent des autres jobs, c’est que, lorsque je rentre de ma journée, je ne peux pas ne plus y penser. Il faut que je mange et dorme en lien avec l’athlétisme. Je ne peux pas sortir tard le soir et aller faire la fête car c’est comme cela qu’on se blesse. Ce n’est pas juste huit heures de boulot ; tout ce que je fais en découle… C’est toute une vie pour l’athlé.

Vous ne relâchez jamais la pression ?

Si, quand la saison est finie, je pars deux semaines en vacances et il ne faut plus me parler de sport, je fais ce que je veux. Mais à chaque fois, je retrouve le feu sacré ; il faut bien s’y remettre.

Comment en êtes-vous venue à faire de l’heptathlon ?

J’ai commencé l’athlétisme à 7 ans. Généralement, on propose aux enfants toutes les épreuves et puis, en avançant, progressivement, ils optent pour une ou deux d’entre elles. Moi, je n’ai jamais su choisir. J’étais bonne en tout, même si j’étais un peu plus performante en hauteur, et c’est naturellement que l’hepta s’est imposé. Je pense que si je me focalisais sur une seule discipline, je m’ennuierais.

La hauteur, l'épreuve fétiche de l'athlète.
La hauteur, l’épreuve fétiche de l’athlète. © belga image

Participer à sept épreuves, sur deux jours, cela nécessite une concentration particulière…

Il y a beaucoup dans le mental, c’est vrai. Après chaque étape, on doit être capable de se reconcentrer, que cela se soit bien ou mal passé. Il ne faut pas ressasser ce qu’on a fait, sinon ça devient pénible. Réussir un hepta tient à rien, il suffit d’une erreur pour que tout s’écroule.

Quand avez-vous su que vous alliez devenir sportive de haut niveau ?

Ce n’est pas vraiment un choix réfléchi. J’ai travaillé pour m’améliorer et ça s’est fait graduellement. A 13 ans, je n’avais pas de rêves de gloire ou de carrière. J’avais juste envie de battre mes records et je bossais pour… Jusqu’à ce que ceux-ci deviennent assez bons pour que je puisse participer à des championnats internationaux juniors, puis seniors.

Avez-vous parfois envie d’abandonner ?

Il arrive que j’en aie marre ou que je veuille me reposer… Mais abandonner, jamais ! J’ai fait trop de chemin pour en arriver là et j’aime trop ça ; je ne vois pas ma vie sans l’athlétisme.

Faire du sport de haut niveau en Belgique, est-ce compliqué ?

Oui, très certainement. Ça dépend de quel sport mais l’athlétisme n’est pas la discipline la mieux lotie, surtout d’un point de vue infrastructures. Je vais en compétition contre des Américaines, des Britanniques, des Françaises qui ont des pistes au top niveau. Moi, jusqu’à présent, l’hiver, quand il neige, je ne peux rien faire. Ce n’est pas facile pour nous et c’est dommage qu’il n’y ait pas un peu plus d’investissements des pouvoirs publics. Si on mettait plus d’argent dans le sport, on aurait de meilleures infrastructures et plus de jeunes se lanceraient ; ce serait un cercle vertueux.

C’est la politique du sport qu’il faut changer ?

En tant que sportive, je ne peux que constater une réalité. Il y a bien une salle à Namur, un projet à Louvain-la-Neuve (NDLR : une piste indoor y est en cours de construction)… Mais on peut faire mieux, on dénonce cela depuis des années dans le milieu.

Selon vous, le sport est-il un vecteur d’éducation ?

Il véhicule de belles valeurs : le fair-play, la camaraderie, le dépassement de soi, le fait de s’impliquer dans quelque chose, de prendre son avenir en main, qu’il soit ou non sportif. On y fait aussi de belles rencontres.

Vous êtes désormais ambassadrice de l’Unicef. Est-ce que le sport peut jouer un rôle en cas de crise, dans les camps de réfugiés par exemple ?

Le sport ne suffira pas à pacifier le monde, c’est sûr. Mais je pense qu’il peut aider les gens, et encore plus les enfants, à retrouver un peu de bien-être, à penser même temporairement à autre chose, à se fixer des objectifs, à se voir progresser, à apprendre à partager et à mettre leurs efforts en commun pour atteindre un but collectif.

Cet été, quel est votre programme ?

J’ai fait de beaux scores en début de saison, c’est de bon augure pour les Championnats du monde, en août. Mais tout peut arriver. On est trois à avoir fait mieux que mon record des JO de Rio ; il y a un très bon niveau et beaucoup de filles plus jeunes qui s’améliorent. J’imagine également que je suis plus attendue que les autres années, mais j’essaye de ne pas trop y penser. Je ne fais pas de plan. Je me concentre sur mes performances car c’est la seule chose que je peux contrôler. Ce que feront les autres, je ne peux pas le maîtriser.

Avec son entraîneur, une complicité de huit ans.
Avec son entraîneur, une complicité de huit ans.© belga image

A plus long terme, comment voyez-vous votre avenir ?

Je fais des études de sciences géographiques mais mon but n’est pas de travailler immédiatement. J’essaye de ne pas me projeter si loin. J’ai 22 ans, je suis au début de ma carrière. Tout ce qui m’intéresse, pour le moment, ce sont mes performances. En heptathlon, si on arrive à échapper aux blessures, on peut tenir au-delà de 30 ans, pour autant qu’on ait envie de continuer… Il n’y a pas que l’athlé, il y a une vie à côté. Mais je verrai ça plus tard.

Sa galaxie

Son entraîneur

Roger Lespagnard a représenté la Belgique aux jeux Olympiques plusieurs années en tant que décathlonien. C’est donc assez logiquement que ces deux-là se sont trouvés, il y a huit ans.  » Je cherchais quelqu’un pour m’entraîner aux épreuves combinées et j’ai changé de club pour que ce soit Roger, raconte la Namuroise. J’ai commencé le haut niveau avec lui, il me connaît bien. Et la manière dont il travaille me correspond, elle fait ressortir ce qu’il y a de meilleur en moi. C’est lui qui décide mais c’est un échange constant car il ne sait pas toujours ce que je ressens. La communication est la clé. « 

Sa maman

Toujours dans les gradins pour soutenir sa fille, Danièle Denisty est aussi athlète de haut niveau. En 2014, elle était sacrée championne d’Europe d’heptathlon, en masters.  » Elle s’est beaucoup impliquée pour que je puisse poursuivre mes objectifs, explique Nafi. Même si ça fait déjà longtemps que je vis seule, quand j’ai un problème, c’est elle que j’appelle car elle est toujours de bon conseil. « 

Avec sa maman, toujours à ses côtés.
Avec sa maman, toujours à ses côtés.© belga image

Ses managers

A travers la société Wafel Sports, Kim Vanderlinden et Helena Van der Plaetsen gèrent tout le back office de l’athlète, jonglant avec les plannings d’entraînements et les horaires d’école afin de dégager des plages horaires pour la presse et les sponsors.  » Elles ont un rôle crucial pour que je puisse me concentrer sur ce qui est le plus important : le sport et les études « , insiste la jeune femme.

Son kiné

La médaillée olympique a déjà subi plusieurs embûches, notamment une déchirure au coude, juste avant Rio, qui l’empêcha de lancer le poids et le javelot jusqu’au jour J…  » Un athlète met son corps à l’épreuve, ce qui entraîne parfois des blessures, précise la championne. C’est primordial d’avoir une équipe médicale pour continuer au mieux quand un problème survient, mais aussi pour prévenir les ennuis. « 

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