Nesrine Slaoui: « Aujourd’hui, je revendique mon illégitimité et c’est incroyablement libérateur »
Arrivée en France du Maroc à l’âge de 3 ans, Nesrine Slaoui est passée d’un quartier populaire du Vaucluse à Sciences-Po et est aujourd’hui journaliste indépendante à Paris. Un grand écart parfois périlleux qu’elle chronique dans Illégitimes, un roman qui fait la part belle aux témoignages.
Les parents immigrés sont ceux qui croient le plus au mythe de la méritocratie. Ce sont eux qui m’ont inculqué que si je suivais des études et que je bossais, ça allait forcément payer, mais en réalité, c’est une illusion. J’ai cru que l’excellence et mes diplômes effaceraient mes origines. Pas parce que j’en avais honte, mais parce qu’à un moment, je pensais qu’on arrêterait de me voir toujours comme une Maghrébine et juste plutôt comme une fille intelligente et ambitieuse. Je crois que bizarrement, on n’obtient pas les postes qu’on mérite parce qu’il y a d’autres enjeux.
La France n’était pas le paradis que mon père s’imaginait de l’autre côté de la Méditerranée, du moins pas pour les gens comme lui, dont la vie est confinée en permanence, qui limitent depuis toujours leurs sorties, pour des raisons financières mais aussi parce que là où ils sont, il n’y a pas de raison de mettre le nez dehors.
Mes parents ont toujours tellement travaillé chez les autres qu’ils n’ont jamais pensé à leur propre confort. J’ai passé le confinement chez eux, en Provence, dans la petite maison où ils vivent depuis mon départ il y a huit ans. Comme s’ils n’avaient pas pu rester sans moi dans le quartier populaire que nous habitions auparavant. Malgré les années qui défilent, j’ai l’impression que la maison est éternellement en travaux.
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On n’a pas accès à la même chose que les autres à cause de nos origines. En France, il y a encore beaucoup de débats identitaires. C’est bizarre, parce qu’officiellement, on est un pays universaliste, qui se targue de ne pas voir la couleur de peau ou les origines, mais la réalité est qu’il y a un racisme latent dans la société. Quand on entend mon nom, on se doute bien que Nesrine Slaoui ce n’est pas franco-français, et ça peut compliquer la recherche d’un appart’ ou d’un emploi.
Il est hors de question que mon parcours soit utilisé pour dire « si Nesrine a su y arriver, tout le monde peut le faire ». Déjà parce que je suis privilégiée, j’ai grandi dans un quartier populaire non délabré, fille unique donc mes parents ont pu se focaliser sur mes études. Ensuite parce que c’est une forme de violence pour ceux qui n’ont pas accès à mon parcours, je ne veux pas devenir une injonction à la réussite par les grandes écoles. Je refuse d’être un prétexte pour tous ceux qui affirment que quand on veut on peut, parce que c’est faux.
J’avais le titre Illégitimes inscrit depuis 2016 dans une note de mon téléphone, avec une liste d’interviews à faire. J’ai commencé à interviewer des personnes qui avaient le même parcours que moi quand j’étais à Sciences-Po, et j’ai réalisé ce que ça impliquait d’être transfuge de classe et de faire des études supérieures quand on vient d’un milieu populaire. Je mûrissais donc ce projet de livre depuis des années, mais il a fallu le confinement et le retour chez mes parents pour que je me lance. Je n’avais pas grand-chose à faire et j’ai rédigé un texte sur mon père et le confinement ouvrier dans l’émotion du moment. Je l’ai publié sur Twitter et Fayard m’a contactée. C’est fou parce que j’avais toujours voulu publier un livre mais je pensais que ça prendrait dix ans et des dizaines de manuscrits envoyés.
Aujourd’hui, je revendique mon illu0026#xE9;gitimitu0026#xE9; et c’est incroyablement libu0026#xE9;rateur.
Le journalisme est le métier bourgeois par excellence. On ne peut l’exercer que si on a un patrimoine suffisant au départ ou pas de loyer à payer, parce que c’est très difficile de vivre du statut de pigiste. J’étais tétanisée par l’insécurité financière quand je suis sortie de l’école de journalisme, alors j’ai accepté un poste en rédaction en-deçà de mes compétences pour pouvoir payer mon loyer et survivre.
Aujourd’hui, je ne cherche plus à être légitime. J’ai renoncé à l’idée de cocher des cases en permanence pour y arriver. Je revendique mon illégitimité, pour moi ça n’a plus du tout la connotation négative que le terme a pu avoir quand d’autres l’employaient à mon égard. Parce que je me suis réapproprié ce mot quand j’ai réalisé que la légitimité est rattachée à un modèle hyper archaïque basé sur un mérite qui n’existe pas.
Illégitimes, par Nesrine Slaoui, Fayard, 198 pages.
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