Pascale Mertens: « Mon père considérait le prince Philippe comme un fils »

Guy Mertens à droite, au côté de Philippe, alors prince. Un cliché pris en 1986 © PORTRAIT EVA DONCKERS
Elke Lahousse
Elke Lahousse Journaliste

La royauté a connu une année particulière avec la reconnaissance de Delphine Boël comme princesse de Belgique… mais aussi les 60 ans du roi Philippe. Journaliste et fille de celui qui fut le mentor de l’héritier au trône, Pascale Mertens revient sur la jeunesse de notre souverain. En toute intimité.

Ce fut une année riche en rebondissements pour la famille royale. Par la voie des tribunaux, Delphine Boël a finalement obtenu la reconnaissance de paternité d’Albert II qu’elle attendait depuis sept ans. L’occasion pour son demi-frère, le roi Philippe, de lui tendre la main. Quelques mois plus tôt, il célébrait son soixantième anniversaire… Un cap, mais aussi, pour nous, l’occasion de regarder dans le rétroviseur, en compagnie de la journaliste royale de la VRT Pascale Mertens.

Son papa, Guy, fut en effet conseiller, mentor, confident et même une figure paternelle pour le prince Philippe… Autant de fonctions citées par les médias lorsque, au début des années 80, le général entama une relation de travail exceptionnelle avec l’héritier du trône, alors âgé de 21 ans. « Ce serait tellement mieux si mon père pouvait raconter cette histoire lui-même, mais il est décédé d’un cancer en 2010 », regrette Pascale Mertens. Et c’est parce qu’elle est fière de lui qu’elle a accepté de nous accorder cette interview, bien qu’elle avoue préférer être de l’autre côté du micro. « Un jour, en 1981, papa a été convoqué auprès du roi Baudouin, se souvient celle qui avait alors 8 ans. Il en ignorait complètement la raison. Après deux heures de promenade dans le parc de Laeken, le souverain lui a dit: « Je cherche quelqu’un pour accompagner mon neveu Philippe. » Lui qui n’avait pas d’enfant commençait à voir en Philippe son successeur au trône. Stupéfait, mon père ne comprenait pas pourquoi on l’avait choisi lui, simple fils de boucher campinois. « Dormez une nuit dessus », lui a conseillé Baudouin. Evidemment, papa n’a pas fermé l’oeil de la nuit. (rires) Mais je ne pense pas qu’il ait douté. C’était une occasion inouïe. »

Lorsqu’on lui demande pourquoi son paternel fut choisi, la journaliste ne peut qu’énumérer ses qualités: « Au Palais, les collaborateurs sont souvent des diplomates ou des militaires. Mon père était un militaire possédant un excellent état de service. Il avait notamment bénéficié de formations complémentaires aux Etats-Unis, pour lesquelles les candidats étaient triés sur le volet. J’ai toujours entendu de nombreuses réactions positives à son sujet, notamment parce qu’il a bâti sa carrière sans appuis et sans forcer les choses. Je pense qu’il s’était fait remarquer à l’armée, et que cela était arrivé aux oreilles du roi. » Quand la proposition lui fut soumise, Guy Mertens, âgé à l’époque de 43 ans, était sur le point de s’installer pour deux ans en Allemagne avec sa famille pour y diriger l’unité belge à Soest. Une mission qu’il mena néanmoins à bien, car celle qui concernait le prince ne l’occupait qu’à temps partiel. Ces années-là, il effectua de nombreux allers-retours en voiture, et Philippe l’accompagna pour rendre visite aux forces armées belges. « C’était Baudouin qui avait eu l’idée de ce voyage qui devait permettre aux deux hommes de faire plus ample connaissance », raconte notre interlocutrice.

Pascale Mertens. A l'arrière-plan, un portrait de son père, réalisé par Louis Van Gorp, auteur notamment du portrait officiel du roi Albert II.
Pascale Mertens. A l’arrière-plan, un portrait de son père, réalisé par Louis Van Gorp, auteur notamment du portrait officiel du roi Albert II.© PORTRAIT EVA DONCKERS

Une belle complicité

On peut affirmer sans trop se tromper qu’il existe trois déclinaisons de Philippe. La première est celle du petit garçon qui grandit dans une famille noble, mais brisée. Son père, Albert, et sa mère, Paola, ne se voient presque pas. Lorsque Philippe a environ 9 ans, Albert se trouve souvent à l’étranger, en compagnie de sa maîtresse, Sybille de Selys Longchamps, qui vient de lui donner un quatrième enfant, Delphine. Quant à Paola, elle passe beaucoup de temps dans sa famille en Italie, et auprès d’autres hommes. Lorsqu’ils sont ensemble chez eux, au Château Belvédère, les parents occupent chacun un étage différent. Leurs enfants, Philippe, Astrid et Laurent sont élevés principalement par des gouvernantes et des familles d’accueil. La deuxième version serait celle du jeune adolescent qui s’épanouit lors de sa formation d’officier à l’Ecole royale militaire – où sa fille Elisabeth est d’ailleurs entrée cette année. Cependant, lorsqu’il apparaît devant les caméras dans le cadre de missions officielles, il passe pour maladroit et empoté. Enfin, on découvre plus tard un roi empathique et habile, rôle que Philippe commence à endosser dès son union avec Mathilde d’Udekem d’Acoz…

Votre père a surtout eu affaire au jeune prince qui se cherchait après une enfance difficile. Qu’était-il censé transmettre à Philippe?

De la sagesse et la découverte de la vraie vie, je crois. Comme mon père était un militaire, et que Philippe venait de terminer sa formation, ils avaient beaucoup de points communs et de raisons d’effectuer des déplacements ensemble. En 1985, après l’éruption du volcan Nevado del Ruiz en Colombie, ils se sont rendus sur place, à bord d’un C-130, en vue d’une mission humanitaire. Lorsque Philippe est parti étudier à Stanford aux Etats-Unis, je sais qu’en cas de problème, il pouvait compter sur mon père, dont la tâche consistait essentiellement à bâtir une relation de confiance. Le prince appelait souvent chez nous et dialoguait longuement avec papa, qui le prenait sous son aile comme s’il était son propre fils. Lui qui avait eu quatre filles…

Guy Mertens et le prince Philippe, en 1985, en Colombie, après l'éruption du volcan Nevado del Ruiz.
Guy Mertens et le prince Philippe, en 1985, en Colombie, après l’éruption du volcan Nevado del Ruiz.© PHOTO NEWS/PAUL VERSELE

Comment votre père percevait-il sa mission de mentor?

Je suis certaine qu’il l’a menée avec grand plaisir et que pour lui, c’était plus qu’un travail. Leur relation était empreinte d’affection; mon père et Philippe s’appréciaient vraiment. Leur lien n’était pas que professionnel, ils partageaient aussi des moments de détente. Souvent, ils jouaient au tennis ou allaient de temps en temps boire une bière ensemble. Ils ont aussi sillonné les Etats-Unis pendant six semaines lorsque Philippe étudiait là-bas. Ils ont vu les Diables Rouges jouer au Mexique, pour le plus grand plaisir de mon père, fan de football. Il a toujours dit qu’il avait vécu des moments magnifiques avec le prince.

Comment vos soeurs et vous avez-vous vécu les visites du prince?

J’étais encore très jeune quand j’ai rencontré Philippe pour la première fois. J’étais en train d’étudier à mon bureau lorsqu’il est passé me dire bonjour, mais cela ne m’a pas traversé l’esprit d’aller m’asseoir dans le salon pour suivre la conversation qu’il avait avec mon père. Cela illustre mon intérêt pour le prince (rires). Au cours des années qui ont suivi, lorsqu’il venait à la maison, je n’étais jamais là, car j’étudiais à l’étranger. Je me souviens que chez nous, il y avait une photo de Philippe portant une veste de pilote, son brevet fraîchement décroché. Il ne me déplaisait pas (rires).

Si une phrase est restée dans la mémoire collective, c’est bien: « Il n’y arrivera pas. » Avez-vous connaissance de la réaction de votre père?

C’est le grand maréchal de la Cour, Herman Liebaers, qui, en 1991, a tenu ces propos lors d’une interview donnée à Yves Desmet, journaliste au quotidien De Morgen. J’ignore ce que mon père a dit à Philippe à l’époque, mais j’imagine que c’était quelque chose comme: « Mais si, tu y arriveras! » Je suppose que mon père était à la fois strict et juste envers le prince, comme avec ses filles. De la même manière qu’il croyait en nous et nous encourageait, il croyait en Philippe. Il n’a jamais pensé qu’il n’en était ou n’en serait pas capable. Papa a dit que Liebaers ne connaissait pas le prince, et que lui était le seul à le connaître vraiment.

Philippe voyait en votre père une personne chaleureuse et de confiance. Ce qui manquait au sein de sa propre famille. Le prince faisait-il partie de la vôtre?

Il serait exagéré de prétendre cela. Certes, Philippe jouait un rôle important dans la vie de mon père, mais pour le reste de notre famille, son existence était secondaire. Il arrivait que papa ramène le prince à la maison inopinément. Un soir, il devait venir manger chez nous, mais comme ma mère n’était pas là, ma soeur aînée, un peu paniquée, a préparé un spaghetti. Par contre, il ne se joignait pas à nous pour Noël, par exemple. Je pense que notre papa était une figure paternelle pour lui. Beaucoup de gens ignorent quelle jeunesse Philippe a vécue. De nombreux aspects de sa personnalité sont liés à son schéma familial. On a longtemps reproché à cet homme d’être gauche et prudent, mais si on connaît son histoire, on comprend les raisons. C’est seulement au cours des quinze dernières années que les scientifiques ont compris l’impact de la négligence émotionnelle sur un individu… comme l’ont vécue Philippe, son frère et sa soeur.

On a longtemps reproché à cet homme d’être gauche et prudent, mais si on connaît son histoire, on comprend les raisons.

Les choses ont toutefois évolué…

Depuis que Philippe est roi, sa confiance en lui semble s’accroître de jour en jour. Cette année, il a pris un certain nombre de décisions audacieuses: il a écrit la lettre ouverte dans laquelle il a exprimé son regret face aux actes de cruauté que les colons belges ont infligés aux Congolais, il a joué un rôle important dans la formation du gouvernement et a accueilli chaleureusement sa demi-soeur, Delphine. La capacité de notre roi à surmonter son enfance difficile et des jugements tels que « il n’y arrivera pas » a inspiré des gens qui sont eux aussi en proie à la négligence émotionnelle, la forme de maltraitance infantile la plus courante, mais peu évoquée. Certes, Albert n’a pas connu non plus une adolescence normale et affectueuse. En effet, il a perdu sa mère à l’âge de 2 ans et, après la Seconde Guerre mondiale, son père, le roi Léopold III, a été contraint de s’exiler en Suisse avec sa famille. A leur retour en Belgique, Léopold a dû abdiquer, et son fils aîné, Baudouin, qui n’avait que 20 ans à l’époque, a précipitamment été à la tête du royaume.

Est-il possible de vivre une jeunesse normale lorsqu’on est enfant de roi?

Philippe et Mathilde semblent réussir à offrir à leurs enfants une vie la plus saine et normale possible. Ceux qui ont regardé le discours télévisé de la princesse Elisabeth à l’occasion de son 18e anniversaire auront vu une jeune femme forte et équilibrée. Elle a remercié tous les membres de sa famille pour l’équipe solide qu’ils forment. Notons que Philippe a choisi de se comporter différemment avec ses propres enfants.

Un appel du roi

Pascale Mertens ne sait pas exactement quand la mission de son père a pris fin. En 1988, il est devenu chef honoraire de la Maison militaire du roi et a directement commencé à travailler pour Baudouin. Comme cette fonction impliquait sa présence au palais, il a continué à collaborer étroitement avec le prince. Sous le règne du roi Albert, Guy Mertens est resté à la tête de la Maison militaire, jusqu’à sa retraite en 2005.

Et la journaliste s’est trouvée à son tour en contact professionnel avec Philippe pour la première fois. Pendant six mois, elle a pu filmer le prince en vue d’une émission exceptionnelle pour le magazine de reportage Koppen. « Le fait que Philippe accepte que la presse le suive était une offensive de charme. A l’époque, il était critiqué par le monde politique et médiatique, notamment parce que, lors d’une interview accordée au magazine Story à l’occasion d’une mission économique en Chine, il avait visé le Vlaams Belang en déclarant: « Dans notre pays, il y a des gens et des partis, comme le Vlaams Belang, qui sont contre la Belgique, qui veulent la détruire. Je peux vous assurer que je m’opposerai toujours à ceux-là. Et n’oubliez pas: je peux être coriace s’il le faut. » Suite à cela, des personnalités politiques et des collaborateurs de la Cour ont rappelé Philippe à l’ordre, parce qu’il n’a pas le droit de faire des déclarations politiques. En acceptant la diffusion de cette émission, le prince pouvait montrer une autre facette de lui. Dans ce cadre, j’ai rencontré un homme doté d’un humour subtil, capable d’un enthousiasme spontané, et qui se soucie à la fois sincèrement d’autrui. Lors d’une visite dans un centre de désintoxication, au cours de laquelle il s’est adressé à de jeunes toxicomanes, il s’est montré particulièrement touché par ces jeunes. Pendant le tournage, alors que Philippe prenait des nouvelles de mon père, chez qui on avait décelé des métastases, j’ai éclaté en sanglots devant lui . Il est revenu plusieurs fois chez nous, les semaines qui ont précédé la mort de mon père. Et après son décès aussi, pour rendre visite à ma mère.

Votre père n’a pas vécu l’intronisation de Philippe. Trouvez-vous que la famille royale a encore une raison d’être à notre époque?

La monarchie n’est pas un régime qu’on introduirait à notre époque. Mais elle est en place et elle est fixée dans notre Constitution. De plus, je trouve que le rôle que notre roi joue actuellement est utile. Si nous transformions la fonction de roi en un poste de président, ce serait compliqué avec nos structures institutionnelles. Si vous considérez le rôle joué par le roi lors de la récente formation du gouvernement, un rôle qui l’expose particulièrement sur le plan politique et qui le pousse à la prudence, je trouve qu’il s’en est bien tiré. Bart De Wever l’a également exprimé. Bien entendu, c’est dingue, pour reprendre les propos du psychiatre Peter Adriaenssens, dans un documentaire sur le roi diffusé sur Canvas, que dans ce pays, on choisisse un enfant à qui on dit: « Tu ne vivras pas une vie normale, parce que plus tard, tu seras roi ou reine. Pas parce que tu as été élu de manière démocratique, mais parce que la Constitution le prévoit. » Cependant, je crois qu’il y a plus de bonnes que de mauvaises choses à dire du rôle exercé par Philippe, et dans lequel il continue d’évoluer.

Quand lui avez-vous parlé en personne pour la dernière fois?

Lorsque ma mère est décédée en 2017, il m’a appelée. Je ne m’y attendais pas du tout. Là aussi, j’ai craqué. Cet appel téléphonique prouve à quel point notre roi est un homme chaleureux et empathique. Il y a des moments où son implication et sa compassion envers les autres sont tout à fait sincères et dépassent le cadre de son travail.

Votre téléphone affiche-t-il alors « appel du roi »?

(rires) Non, mais bien « appel du palais ». Un collaborateur m’a dit que le roi souhaitait me parler. Je n’ai pas le numéro direct de Philippe. Ce serait chouette, je pourrais lui envoyer un SMS: « Bien joué, la rencontre avec la princesse Delphine. »

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