« Se faire confiance et en même temps pas trop »: les confidences d’Iliona, nouvelle pépite belge
Avec une élégance intemporelle, Iliona s’est glissée dans des silhouettes de Raf Simons, Y/Project ou Martin Margiela. Quelques photos et confidences plus tard, elle est repartie légère peaufiner son album prévu pour l’automne. Portrait mosaïque d’une jeune chanteuse-autrice-compositrice en mode pépite.
Elle porte son prénom roulé en bandoulière – il se fait que c’est aussi son nom de scène, trois syllabes qu’elle connaît par coeur et qui lui servent de cocon protecteur. Naviguant entre nervosité légère et timidité existentielle, Iliona est arrivée au rendez-vous avec son père, elle avait besoin de repères. Cela fait des mois qu’elle s’est volontairement enfermée dans sa chambre pour terminer son deuxième EP, faisant suite à son Tristesse plébiscité. A 21 ans, si elle savoure son décollage immédiat, la jeune chanteuse-autrice-compositrice ne cesse de s’étonner de ce qui va alentour. « On m’invite pour me donner la parole, c’est un honneur. Mais c’est incroyable et bizarre en même temps, ce n’est pas naturel pour moi, du coup, c’est un peu stressant. »
En plein confinement, le premier, on l’avait vue débarquer à pas de loup, sur la Toile, avec des morceaux dans l’air du temps, voix et piano raccords, mélancolie de même. Depuis, adoubée par ses pairs et par les grands noms de la chanson française, de Yelle à Benjamin Biolay, de Julien Doré à Vincent Delerm, elle a été intronisée « profil émergent » lors d’une Fête nationale endeuillée, offrant son Moins joli en live aux équipes de l’Hôpital Notre-Dame à la Rose à Lessines, « c’était grave et touchant ».
Si Iliona est sortie de sa retraite aujourd’hui, c’est pour offrir son visage à la lumière. Et aux mains expertes de Jenneke Croubels, make-up artist pour Chanel. Il ne lui faut pas grand-chose sur la peau, elle a cette chance-là, quelques touches légères d’enlumineur, une virgule rétro sur les yeux surlignés de noir et un chignon haut, un peu référencé Amy Winehouse, désordonné surtout. Elle enfile un pull en shetland rouge, griffé Raf Simons, l’étiquette faisant foi, précisant « made in Antwerp ». Entre deux poses, qu’elle maîtrise à la perfection, privilège de la génération Z, il sera question de mode belge, de son processus de création, de sa fine équipe et de son sentiment de légitimité à apprivoiser, si ce n’est à conquérir. Ouvrez les guillemets.
Etre à mort déguisée et le lendemain en pyjama, cela ne va pas, et en même temps, c’est un peu ça, ma personnalité.
Ses débuts
« Pour le moment, j’ai un peu l’impression de devenir folle parce que cela fait plus d’un mois et demi que je suis enfermée dans ma chambre à travailler mes chansons des nuits entières, à enregistrer mes voix… C’est un peu comme un labo, je fais tout toute seule, j’adore ça malgré que ce soit difficile de prendre du recul parce que, à cause de cette solitude, personne ne me donne son avis… La grande difficulté est de se faire confiance et en même temps pas trop. Je suis hyper perfectionniste, dure avec moi-même. Mon challenge, dans ces périodes-là, est d’être un peu plus gentille avec moi. Et quand la chanson est finie, ne pas chercher à tout changer. Quand on arrive en période de deadline, il faut mettre de l’ordre dans toutes ces idées. C’est comme si j’avais un carnet de brouillon géant qu’il fallait remettre au propre, pour que le propos ait du sens dans son intégralité. Au début, cela fait peur mais plus tu avances, plus tu es rassurée, plus tu prends du plaisir. »
Moins joli
« C’était l’un de mes premiers morceaux. Il s’est passé tellement de choses depuis. C’était avant la Covid, je composais mes petites chansons dans mon coin. J’étais dans une relation assez malsaine, la personne avec qui j’étais n’était pas très bienveillante vis-à-vis de ma musique et de tout le reste, cela ne me donnait pas confiance en moi. Comme je suis très perfectionniste, je me mettais la pression. J’ai alors commencé à travailler avec la chanteuse Ana Diaz, que j’avais rencontrée par hasard, un peu timidement, je lui ai demandé si elle avait besoin d’aide pour ses productions, elle a dit oui, cela m’a donné un peu plus confiance en moi. Le jour où ma relation toxique s’est arrêtée, il y a eu comme une renaissance. Je me suis dit: « J’attends quoi? » Personne n’allait venir me chercher, il fallait juste que moi, je fasse de la musique et j’aille vers le public. Je me suis motivée et j’ai tout organisé, les idées de photos, de clip, j’ai tout écrit, filmé mes chansons, c’était un peu bancal… J’ai l’impression que c’était il y a dix ans. »
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Processus de création
« Je ne crée pratiquement que la nuit. La journée, j’écoute ce que j’ai fait la veille et je fignole. J’ai alors deux visions différentes car ce sont deux univers particuliers. En général, je choisis un instrument sur mes logiciels ou des accords et je me laisse emporter. C’est très instinctif, je ne réfléchis pas à ce que je fais, je teste des trucs, je reviens en arrière… La plupart de ces recherches ne sortiront jamais, mais certaines restent et arrivent à devenir des chansons. Je travaille aussi beaucoup les textes, avant ou après avoir composé, cela dépend, tout s’entremêle. J’ai l’impression que dans une chanson, je peux me permettre tant de choses… J’écris comme je parlerais à une copine ou même comme une enfant – cela vient du coeur, ça sort tout seul. Et les mots que j’aime, je les garde. Ecrire une chanson, c’est comme résoudre un casse-tête ou passer à un autre niveau sur un jeu: tu as plein d’idées mais il faut qu’à un moment, ce soit une chanson. Parfois, je ne parviens pas à trouver le truc parfait qui manque, je pense que je n’y arriverai pas. Et puis parfois, je réussis à lui donner un nouveau souffle, à cette chanson. C’est inexplicable. Durant ces périodes-là, il y a un truc obsessionnel très étrange mais c’est mon truc d’être obsessionnelle. »
Contourner les consignes
« J’ai toujours dessiné. J’adorais l’option artistique que je suivais en secondaire à l’école Decroly. Mon grand jeu, c’était de contourner les consignes, j’ai l’impression que c’est un peu pareil avec la musique. Dans un morceau, il y a toujours une idée de format et de thème, il faut que tu remplisses quelques contraintes mais en les contournant… C’est ma manière de travailler de manière générale et je me rends compte que plus j’avance, plus c’est ça. Je ne pensais pas faire de la musique de manière professionnelle et puis en fait si. Cela faisait quelques années que je le savais, j’ai commencé l’histoire de l’art à l’ULB et j’ai arrêté après deux ou trois mois, même si j’aimais trop, je passais plus de temps à faire de la musique chez moi qu’aller au cours. Je me suis dit que l’histoire de l’art n’allait pas bouger, que je pourrais encore l’étudier ensuite, alors que mon énergie musicale, il ne fallait pas que je la loupe. »
Un truc mignon
« Je me suis toujours sentie soutenue en Belgique, par les artistes belges. Je trouve qu’il y a une vraie énergie de groupe – cela ne veut pas dire qu’on va se faire des barbecues et des featurings tous ensemble. Mais si on se croise, c’est toujours bienveillant, il y a un truc mignon… J’ai aussi été accueillie par les artistes français. Cela m’a beaucoup étonnée. On était en confinement, j’avais sorti quelques chansons depuis ma chambre, le monde était très bizarre et sur Internet, je voyais les noms de ceux qui partageaient mes chansons, c’était fou. Je pense que cela a été le premier déclic, qui m’a fait me sentir un peu plus légitime. Et c’était un gros coup de pouce, ils m’ont apporté de la visibilité et ils m’ont aussi fait connaître auprès de leur public. »
J’achète beaucoup en friperie et je recycle souvent les vêtements de ma mère, des vieilles pièces qui ont 30 ans et n’ont pas bougé.
La mode belge
« Je ne la connaissais pas avant de travailler avec Stéphanie Anspach, qui a sa marque éponyme. Elle est seule aux commandes, se démène, met la qualité du produit au-dessus de tout, je trouve sa mentalité belle. Grâce à elle, j’ai découvert des noms dans la mode que je ne connaissais pas. Quand je peux, en promo, je mets des vêtements de Stéphanie, je trouve son projet touchant. Sinon, je ne m’y connais pas vraiment. J’achète beaucoup en friperie et je recycle souvent les vêtements de ma mère, des vieilles pièces qui ont 30 ans et n’ont pas bougé, qui sont intemporelles. Ma garde-robe, c’est donc un peu Vinted et un peu ma mère. »
Un look, une histoire
« Au quotidien, j’adore m’habiller, me maquiller, tester des coiffures. Mais en promo, j’ai eu tendance à faire confiance aux spécialistes et souvent, cela ne me ressemblait pas, je ne me reconnaissais pas. J’essaie donc d’apprendre. Ce qui me fait du bien, je m’en rends compte, ce sont les gens, surtout les meufs archinaturelles en shooting, pas trop maquillées, habillées comme tous les jours. J’ai alors l’impression que je vois la personne pour de vrai. C’est ce vers quoi je tends. Même si j’adore me déguiser et me dire: « On fait un full glam »… Il faut pourtant rester cohérente: être à mort déguisée et le lendemain en pyjama, cela ne va pas, et en même temps, c’est un peu ça, ma personnalité. »
Influences artistiques
« Barbara – je m’étais perdue sur Internet et j’étais tombée sur elle, j’avais l’impression d’avoir découvert un truc secret! Les Beatles aussi, cela a été une énorme claque, mon père les a beaucoup écoutés, il est ultrafan. Et récemment, j’ai eu une période Strokes, cela m’a fait du bien, je trouve qu’il y a une musicalité très complexe et poussée, un peu à l’opposé du côté rock énergique et crado, cela les rend intéressants. Sinon, pour le moment, j’écoute en boucle Blouse, de l’artiste américaine Clairo, que je trouve très sensible. On sent que la chanson est en même temps complexe et intime. Je la trouve sincère, cela pourrait être un mémo vocal de l’artiste sur son téléphone, ce n’est pas trop produit, pas trop construit, on dirait que c’est un cri du coeur. Et c’est très beau. »
La fine équipe
« Pour le prochain EP, je travaille avec les trois personnes sur lesquelles je compte le plus et avec qui j’ai créé la plupart de mes visuels: Jason Destrait au graphisme et Roxane Diamand ou Daniil Zozulya à la photo. Ils sont ultratalentueux. Je les ai rencontrés en bossant et j’ai construit une amitié avec chacun d’eux, on se connaît, on connaît nos goûts et on se pousse les uns les autres. C’est un travail très organique, naturel, avec chacun nos impulsions. »
La légitimité
« Cela ne fait pas très longtemps que je me sens légitime. Avec mes premières chansons, je ne me sentais ni chanteuse ni compositrice ni autrice. Puis le public et les médias m’ont dit: « Tu es chanteuse », c’est le retour des autres qui vous définit. Je ne considère pourtant pas que je suis une artiste mais plutôt que je fais quelque chose qui me fait du bien, pour lequel j’aime me casser la tête et si je peux faire ressentir des émotions aux gens, c’est un bonheur partagé. »
Tristesse, par Iliona, chez Artside Music. @iliona
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