Accro aux soldes? Nos conseils pour acheter malin
Plus que quelques jours pour profiter des soldes! En cette période de crise, le consommateur n’a d’yeux que pour le prix, encore plus lorsqu’il est réduit. Selon certains experts, cette obsession des réductions serait en réalité… une addiction!
La hausse des prix touche tous les secteurs: de l’alimentation à la construction en passant par les voyages. L’hyperinflation et l’envolée des coûts de l’énergie réduisent fortement notre pouvoir d’achat. Heureusement, nous sommes en janvier et les soldes nous permettent d’en avoir plus pour notre argent. Sans compter que nous avons aussi pu profiter de plusieurs actions de taille lors du Black Friday fin novembre, et des ventes couplées en décembre… En réalité, en ouvrant un peu l’œil, il est possible d’obtenir des réductions tout au long de l’année.
«Depuis un certain temps, les remises se multiplient, et cela entraîne une addiction du consommateur, explique Gino Van Ossel, professeur de marketing. Le terme peut paraître exagéré, mais il reflète la vérité. Nous savons que le prix sera réduit tôt ou tard, alors pourquoi achèterions-nous au tarif plein? Il suffit de patienter. Cette attitude pousse les commerçants à accorder des ristournes sur des articles intemporels pendant les soldes, par exemple sur une paire de chaussettes grises pour homme, chose impensable auparavant. Mais les vendeurs n’ont pas le choix: à défaut de remise, les clients n’achètent pas. Nous nous sommes tellement habitués aux réductions que nous avons modifié notre comportement.» Les ristournes sont pourtant un phénomène récent ; elles datent de l’après-guerre, une période prospère, marquée par la production en masse. Les commerçants ont alors commencé à attirer les adeptes de shopping au moyen de réductions pour gagner de la place et obtenir des liquidités en vue de la collection suivante.
Le shoppeur primitif
Certes, les remises représentent une économie, mais l’argent n’est pas la seule raison qui explique pourquoi nous en raffolons. Des chercheurs ont découvert que, tout comme la couleur rouge et des mots tels que «soldes» ou «deal», les ristournes activent ce qu’on appelle le système de récompense dans notre cerveau, de la même manière que lorsque nous mangeons du chocolat ou faisons l’amour. Ces actes nous procurent une sensation agréable parce qu’ils libèrent de la dopamine et de la sérotonine. Mais ces hormones du bonheur sont tellement puissantes qu’elles prennent le dessus et bousculent notre raison. Dans ce cas, il est impossible de se demander si on a vraiment besoin de la pièce soldée ou d’envisager une comparaison des prix.
Cette réaction primitive aux soldes est en grande partie liée à notre instinct de chasseur ancestral. Le message que notre cerveau reçoit est: «Il faut conquérir cet article soldé avant que quelqu’un d’autre ne s’en empare.» Cela explique aussi les impitoyables bousculades lors des premiers jours de braderie, même pour des pièces dont nous n’avons absolument pas besoin. «A ma connaissance, il existe peu d’études sur l’homme primitif en tant que consommateur, souligne le professeur Van Ossel. Mais bien entendu, des scanners illustrent ce type de réaction, qui se produit dans le cerveau reptilien, la partie la plus ancienne de notre cerveau, celle qui est conditionnée à la survie.»
« Parce que toutes les marques savent que les remises vont arriver, elles en tiennent compte dans leur tarif. Cela veut dire que quand on paie le prix plein, en réalité on paie trop. »
Gino Van Ossel
La FOMO (Fear of Missing Out) est une des émotions ressenties dans le contexte des réductions. L’anxiété de ratage est essentiellement due aux médias sociaux qui montrent tout ce qu’on a manqué. Si on n’achète pas ce pantalon tout de suite, la chance ne se présentera plus jamais. Plus l’action est courte – pensons au Black Friday – plus elle a d’impact. Lorsqu’on voit nos pairs faire de bonnes affaires sur les réseaux sociaux, il y a de fortes chances que nous nous mettions à acheter nous aussi.
Or, la médaille des réductions a son revers. «Parce que toutes les marques savent que les remises vont arriver, elles en tiennent compte dans leur tarif. Cela veut dire que quand on paie le prix plein, en réalité on paie trop», précise le professeur Van Ossel. Sans compter que les clients qui achètent avec un rabais pourraient aussi faire un mauvais achat, un risque beaucoup plus élevé en période de soldes. Car tout comme l’amour, les ristournes rendent aveugle. Dans ce cas-là, nous ne nous demandons pas combien nous dépensons, mais combien nous économisons.
Le petit livre noir
Ce ne sont pas toujours ceux qui ont un budget serré qui sont à l’affût de bonnes affaires. Les gens aisés qui ne ressentent pas les effets de l’inflation y sont eux aussi sensibles. Le professeur Gino Van Ossel explique: «Pendant les soldes, beaucoup de consommateurs achètent des articles qu’ils ne peuvent pas se permettre en temps normal, comme une paire de chaussures d’une marque de luxe. Mais ceux qui ont les moyens aiment aussi en avoir pour leur argent. Je dis toujours: les gens qui ont peu d’argent ont besoin d’une ristourne et ceux qui en ont beaucoup aiment les ristournes. Prenez les supermarchés discount Aldi et Lidl. Leur clientèle se compose de gens qui ont peu de moyens, mais aussi de profils aisés qui se disent qu’il serait inutile de payer plus cher. Le même phénomène se produit avec les clients des magasins de seconde main. Ils y vont pour le fun, pas pour l’argent.»
Le centre commercial outlet Maasmechelen Village surfe sur cette vague. Ainsi, récemment, Le Salon y a vu le jour: un espace pop-up de labels qui n’y sont pas vendus en temps normal, par exemple les marques de chaussures de luxe Louboutin ou Morobé. Cela permet d’attirer un public différent. «Nous ressentons clairement l’effet de la pandémie et de la crise. Nos visiteurs sont devenus plus qualitatifs, et les montants dépensés plus élevés», disent des représentants de l’enseigne. Laquelle mise sciemment sur les acheteurs aisés. Depuis des années, elle dispose d’un Black Book des meilleurs clients. Comprenez: ceux qui y vont souvent et dépensent beaucoup. Pour pouvoir adhérer à ce club, il faut passer un entretien individuel. Les membres ont le droit de participer à des avant-premières exclusives. Par ailleurs, depuis peu, les clients les plus importants sont invités dans The Apartment, un pavillon flambant neuf doté d’un jardin privé conçu par le designer floral Daniel Ost. Ils bénéficient, par exemple, de sessions de shopping personnelles, d’un lunch ou d’un dîner, le genre de service digne d’une maison de luxe. Cela illustre l’ambition de l’outlet de ne pas être perçu comme un simple casseur de prix. Maasmechelen Village n’a toutefois pas voulu nous communiquer le nombre de clients qui se trouvent dans son Black Book.
« Les gens qui ont peu d’argent ont besoin d’une ristourne et ceux qui en ont beaucoup aiment les ristournes. »
Gino Van Ossel
Les maisons de mode, elles aussi, savent à quel point nous sommes friands de remises, ce qui les aide à fidéliser les clients. Récemment, alors que nous achetions une paire de chaussures, la vendeuse nous a proposé une remise de 10%. Pour en bénéficier, il fallait s’inscrire à la newsletter. Si on partage toutes ses données à caractère personnel, on devient membre de leur club et on collecte des points pour recevoir encore plus de réductions et d’autres avantages tels que l’envoi gratuit lors d’achats en ligne. Les grandes chaînes recourent à cette pratique pour fidéliser leur communauté. Souvent, cela implique de télécharger l’appli. Ainsi, leur boutique se trouve en permanence dans la poche des clients. H&M joue efficacement sur cette prime de fidélité d’un nouveau genre. C’est ce que le professeur Van Ossel appelle les «primes cachées», car seuls les membres du club les voient.
Marchandage d’usage
Un consommateur n’a toutefois pas besoin d’attendre qu’une marque ou un magasin propose une remise. Il peut aussi la demander. Lorsqu’on achète une voiture ou une maison, on négocie son prix. Il en va de même sur Vinted et consorts, où le marchandage est monnaie courante. Ce site n’est cependant pas en mesure de nous communiquer le pourcentage des articles vendus au rabais, parce qu’il ne peut pas «tracer» la différence entre le prix demandé et le prix négocié. Nous avons recueilli les expériences de plusieurs vendeurs dans des boutiques de luxe à Bruxelles et Anvers, pour découvrir si leurs clients marchandent. Certains remarquent un net changement d’attitude chez les consommateurs: «Ils sont plus audacieux et demandent une ristourne dès début décembre. Lors d’une vente couplée, ils réclament la réduction même s’ils n’achètent qu’une seule pièce. Et pendant les soldes, ils souhaitent bénéficier d’une remise plus élevée. Si la réponse est non, souvent ils l’achètent en ligne, car nos marques organisent régulièrement des soldes avant nous. Cette approche à deux vitesses nous fait beaucoup de tort.»
« Les clients sont plus audacieux et demandent une ristourne dès début décembre. »
Dans certaines boutiques, le marchandage est rare. «Nos clients ressentent peu la hausse des prix de l’énergie. Ils continuent à acheter comme toujours», nous dit-on. «Honnêtement, auparavant, nous accordions facilement des remises à nos clients, ajoute une autre enseigne. Aujourd’hui, les maisons tiennent les comptes de près. Elles fixent les prix, et nous devons nous y tenir.» Un autre gérant de boutique témoigne: «Avant, il y avait plus de passage ici, et il arrivait souvent que des clients qui ne pouvaient pas s’offrir nos articles demandent une remise. De nos jours, c’est très rare. Notre clientèle vient ici consciemment et paie sans négocier le prix indiqué sur l’étiquette. Même si c’est quelques semaines avant le début des soldes.»
Une part plus grande
Marchander peut s’avérer efficace, mais la plupart des Belges n’aiment pas ça. Nous sommes habitués aux prix fixes et trouvons cela confortable. Serions-nous en train de surmonter peu à peu notre gêne en raison de la crise? Pour Katia Tieleman, professeure à la Vlerick Business School et à Harvard, «toute négociation commence par une question. Osera-t-on demander une réduction? Car à ce moment-là, le fait de s’opposer au prix demandé est une forme de critique. Comme nous vivons dans une culture d’évitement des conflits, cela nous semble difficile. Peu de personnes vont à l’encontre de ces conventions et traditions de longue date. Mais lorsqu’un nouveau marché naît, par exemple les vêtements de seconde main en ligne, cela peut donner lieu à de nouvelles normes et valeurs, éloignées des conventions en place. Dans ce cas spécifique, l’absence de contact face à face aide. Il est plus facile de marchander par e-mail».
« Une négociation est un conflit, mais ce n’est pas forcément négatif, car il permet de discuter de choses et peut même aider les deux parties à avancer. »
Katia Tieleman
L’expérience de marchandage sur Internet nous incite à tenter le coup ailleurs, par exemple dans un magasin de matériaux de construction, même si cela reste gênant. «Dans les cultures où l’argent est plus important que le temps, le marchandage est plus courant que chez nous. Imaginons que nous demandions une réduction à la caisse d’un supermarché parce que nous avons acheté non pas un, mais deux kilos de tomates. Non seulement la caissière serait confuse, mais cela provoquerait l’agacement des clients derrière nous, ajoute l’experte. Une négociation est un conflit, mais ce n’est pas forcément négatif, car il permet de discuter de choses et peut même aider les deux parties à avancer.» Aux personnes tentées de marchander, elle conseille de viser une situation win-win. «Si, lors d’une négociation, nous nous contentons de couper le gâteau en deux – une grande part pour nous et une petite pour l’autre – il y a un gagnant et un perdant, ce qui n’est pas agréable. Cela met en jeu notre relation avec l’adversaire. Ce n’est pas idéal s’il s’agit de notre boutique préférée et que nous aimerions y revenir sans avoir à rougir. Alors, il faut essayer d’agrandir le gâteau. Par exemple: une remise est-elle possible à l’achat d’une paire de chaussures supplémentaire? Si les deux parties sont satisfaites de l’accord, il y a de fortes chances que nous achetions plus ou plus souvent dans cette enseigne.»
Choisir, c’est renoncer
Un retour en arrière est-il possible? «En tout cas, pas de manière légale, répond Gino Van Ossel. Il faudrait alors se concerter avec tous ses concurrents pour fixer des règles, ce qui n’est pas envisageable. La course aux remises a peut-être encore de l’avenir. Les grands acteurs ont beaucoup à y gagner. Les boutiques indépendantes restent sur le carreau, à l’instar des petites épiceries qui ont été englouties par les supermarchés. Nous devons comprendre qu’en optant toujours pour ce qui est bon marché, nous renonçons à autre chose.»
Nos conseils pour acheter malin
Les soldes et autres campagnes de promotion mettent notre raison en stand-by. Conséquence: dans ces moments-là, les mauvais achats sont légion. Voici quelques astuces pour éviter les déboires.
Quelques jours avant de se jeter sur les remises, on range sa garde-robe pour voir ce dont on manque vraiment.
Mieux vaut payer en liquide. Le fait de donner de l’argent en mains propres se ressent davantage.
On s’abstient de passer directement de la cabine d’essayage à la caisse ; on sort d’abord faire un petit tour. De cette manière, la partie rationnelle du cerveau pourra intervenir.
Avant le début des soldes ou de la période de réductions, on se rend dans sa boutique préférée pour déterminer à l’avance quel article on aimerait acheter. Et on prend éventuellement une photo de l’étiquette de prix, car certains magasins gonflent les tarifs juste avant les soldes pour que les affaires semblent plus spectaculaires.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici